Vitalic, entre rave et réalité
Électron électro libre, Vitalic célèbre ses 20 ans de carrière avec, non pas un, mais bien deux albums, intitulés Dissidaence. Présentation avant son concert archi-sold out à l’AB.
Pour lancer son dernier album, Vitalic a choisi de démarrer avec le morceau Sirens. Le beat est carré, l’alarme est lancée. Celle qui annonce la réouverture de la piste de danse, après quasi deux ans de disette? Ou celle qui prévient des prochains bombardements? En ce mois de mars 2022, on ne sait plus trop…
Quand on contacte le producteur français via Zoom, on n’en est pas encore là -le code corona est encore à l’orange, et les chars russes massés de l’autre côté de la frontière ukrainienne. À vrai dire, Dissidaence -un premier volet publié en octobre dernier, un second le mois passé- est surtout destiné à célébrer un fameux cap: cela fait maintenant (plus de) 20 ans que Pascal Arbez-Nicolas a lâché les chevaux. Du moins sous le nom de Vitalic, avec un premier EP, Poney, publié en 2001. « Pour marquer le coup, il y avait cette idée d’un éventuel album et d’une tournée. Je cherchais une façon d’aborder ces deux décennies, de les résumer. C’est comme ça que j’en suis arrivé au titre Dissidaence. Ça permettait d’illustrer le fait que je ne fais pas vraiment partie d’une chapelle en particulier. » En effet, Vitalic a toujours un peu surfé à part, presque à contre-courant. « Quand tout le monde était dans la minimale, j’arrivais avec des trucs qui tabassaient. Et quand ça s’est remis à cogner, j’ai eu tendance à faire de la disco. »
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Entre-temps, la pandémie a un peu contrecarré les plans d’anniversaire. Pour la première fois, Vitalic s’est même retrouvé à l’arrêt pendant plus de deux semaines, forcé à ralentir. Au printemps 2020, le DJ-producteur en profite alors pour s’échapper de Paris et filer dans le Gard. « Avec une petite bande, on s’est retrouvés à vivre quasi en autarcie. Je dois dire qu’au début, c’était assez génial. On ne sortait pratiquement jamais du mas. On avait créé notre petite routine: le salon avait été aménagé en espace de coworking, et le dimanche on recréait une sorte de Rosa Bonheur (du nom de ces néo-guinguettes parisiennes, NDLR). Des fausses teufs, avec de la musique différente dans chaque pièce. Dans l’une d’elle, on ne passait que du Dalida, par exemple. » (rires) Avant le premier confinement, Vitalic avait déjà pu composer quelques premiers morceaux. Mais avec le temps qui ramollit, c’est aussi la créativité qui s’embourbe. Il faut attendre la deuxième vague pour que la machine soit relancée. « Je suis rentré. Et là, par contre, j’ai vécu le confinement parisien, c’est-à-dire… Rien! À part les trois courses à 15 mètres de mon appartement. Donc j’ai commencé à bosser, et ne plus faire que ça, de 7 heures à minuit. » Au point de se retrouver avec assez de morceaux pour un double album. « J’ai surtout réussi à trouver des thèmes et à parler de notre époque, sans être non plus trop frontal. »
Noir c’est noir
Souvent sombre et ténébreux, Dissidaence évoque « l’isolement, la frustration » de l’homo pandemicus, obligé de garder ses distances et de faire la fête par écrans interposés. Après Carbonised comme premier single (« Danger! Danger! Run away or you’ll get carbonised« ), Vitalic a enchaîné avec l’explicite Rave Against the System. Dans le second volet, Dancing in the Street est une autre charge techno acide. Sans se lancer dans de grands discours, Vitalic n’a pas oublié que la dance music a toujours colporté des sous-textes politiques. « Que ce soit le disco dans les années 70 pour les gays, ou ensuite le voguing. Les raves aussi, dans les années 90, avec les interdictions de se rassembler. À l’époque, on savait bien qu’on prenait des risques en se rendant dans certains endroits. Même si, ça n’a jamais porté à conséquence, la police était là pour relever les plaques d’immatriculation, on savait qui allait être surveillé, etc. »
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En général, Dissidaence se pose comme la bande-son stridente des tensions du moment. Sur The Void, le beat est martial, tandis que The Light Is a Train suggère que tout espoir éventuel sera vite douché… « On vit quand même une époque très polarisée. Avec pas mal de replis communautaires, et l’impression surtout que tout le monde hurle sans réellement s’écouter. Donc, non, je ne suis pas super optimiste (sourire). Mais ça ne m’empêche pas de vivre, de prendre le plaisir là où il est. Disons que je suis pessimiste mais pas dépressif. Je regarde les choses. » Avec humour, souvent. Vitalic peut par exemple dégoupiller le soi-disant conflit générationnel sur Boomer OK. « Oui, c’est vraiment une blague avec mon grand. La mode est un peu passée maintenant, mais pour l’ado, dire « OK Boomer » à un adulte est un peu une manière polie de l’envoyer chier (rires). Ce morceau reprend l’invective avec légèreté, en disant: « Pas de souci, je suis bien avec ça ». D’ailleurs, au final, mes enfants écoutent la même musique que moi à leur âge. Des trucs techno assez durs. Donc oui, il y a toujours un décalage quand on a 20 ans d’écart, mais peut-être moins marqué qu’avant… »
Ado, Pascal Arbez-Nicolas était déjà le nez dans ses machines, les pieds sur le dancefloor. À 45 ans, il conserve les mêmes dispositions -« Je sors toujours en club, c’est important, même si je commence à être le plus vieux« . Si la patte maison est immédiatement reconnaissable sur Dissidaence, Vitalic reste alerte et pugnace. « Gamin, je voulais déjà devenir musicien. Je me souviens que, vers 5, 6 ans, j’avais demandé à ma mère à quoi ressemblerait la musique du futur. Elle m’avait répondu que ça sonnerait comme du Jean-Michel Jarre, avec des gros pianos électroniques, des synthétiseurs. Ça me fascinait. C’est comme quand, couché sur la banquette arrière de la voiture, je regardais les arbres défiler, hypnotisé. Je savais que c’était ce que je voulais faire, reproduire ce rythme-là. C’est un peu ma légende personnelle. Je suis content d’être allé au bout de ça…«
Vitalic, Dissidaence, distribué par Clivage. ***(*)
En concert le 23/03, à l’AB.
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