AVEC SEULEMENT 3 SPECTACLES AU COMPTEUR, LE LIÉGEOIS FABRICE MURGIA, AUTEUR-METTEUR EN SCÈNE DE 28 ANS, TOURNE DÉJÀ SUR LES GRANDES SCÈNES INTERNATIONALES. RENCONTRE AVEC UN JEUNE CRÉATEUR RADICAL QUI A MARQUÉ L’ANNÉE.

D’un studio liégeois à la scène de l’Odéon à Paris, une aventure in-édite. Fabrice Murgia, jeune auteur-metteur en scène francophone, circule déjà sur la scène internationale avec son premier spectacle Le Chagrin des ogres, suivi de 2 autres: Chronique d’une ville épuisée et Dieu est un DJ. Son théâtre très « art et essai » flirte souvent avec les mondes virtuels de la Toile. Fabrice Murgia sait capter sa génération, dominée par l’incommunicabilité et la solitude dans une époque pourtant saturée d’infos et de réseaux sociaux. Né à Soumagne en banlieue liégeoise, il s’inscrit au Conservatoire de Liège en section théâtre, glande quelques années et finit par se prendre au jeu de ses études. Au ciné, il donne la réplique à Catherine Frot dans Odette Toulemonde et joue dans la série Melting Pot Café. Au théâtre, on se souvient de Visages de feu (histoire de frère et s£ur incestueux et pyromanes), où le jeune Murgia faisait des apparitions « chicho-liégeois ». Inoubliable! Fabrice Murgia, artiste associé du Théâtre national, est désormais en pleine ascension. Les propositions affluent. L’opéra lorgne sur lui, Avignon « in » est proche. En janvier, il présentera sa nouvelle création, Exils ( lire ci-contre). En avril, à Lausanne, il lancera Jéhovah. Il enchaînera ensuite avec une équipe flamande (Het Muzik Lod) et la création d’un tryptique, Ghost Roads. Côté rumeurs, pêle-mêle: un film (produit par Versus?), une école de marionnettes à New York, un opéra (à la Monnaie?). Silence en coulisses. L’enfant gâté n’a même pas la grosse tête. Peut-être que sa passion du… mini-foot le dimanche à Soumagne lui fait garder le nord.

Apparemment, on vous a déniché dans un hangar liégeois?

C’était le studio-garage du Groupov, dirigé par Jacques Delcuvellerie, mon prof au Conservatoire de Liège. Je voulais travailler sur Le Chagrin des ogres avec une bande de copains fous de vidéo ou de musique. On a loué du matos et on a invité plein de directeurs de théâtres et de producteurs, pour qu’ils viennent voir l’ébauche du spectacle et éventuellement soutenir sa création. Notre dossier avait été refusé pour l’aide aux premiers projets de la Communauté française et on n’avait pas un rond. Personne n’est venu sauf Jean-Louis Colinet du Théâtre national! C’était en 2009, j’avais 25 ans.

En 2010, vous montez à l’Odéon avec Le Chagrin des ogres…

A l’époque, Jean-Louis Colinet était en discussion avec Olivier Py, directeur de l’Odéon, autour d’un projet européen. Plutôt que de rester au resto de l’hôtel, il lui a fait voir Le Chagrin… Ça a plu à Py, qui l’a programmé en 2010 dans son « Festival Impatience », dédié à la jeune création. On a reçu le prix du Public et le prix Odéon-Télérama. Ça a fait décoller le spectacle et ma compagnie Artara. En octobre 2010 et 2011, on était à l’affiche de la saison de l’Odéon.

C’est une aventure exceptionnelle, non?

Je suis très content mais j’ai conscience que le travail est énorme et que je suis toujours en apprentissage. Par exemple, pour Ghost Roads avec Het Muzik Lod, je suis en train de me former à la mise en scène musicale à Aix-en-Provence. On me fait des propositions à l’opéra mais je ne peux pas accepter tant que je ne maîtrise pas l’ensemble du processus.

On parle de vous au Festival d’Avignon « in », une scène rare pour un Belge francophone…

En effet. La trilogie Ghost Roads est prévue pour le festival en 2014, qui est programmé par Olivier Py. Il a une vraie volonté d’accompagnement des artistes…

Vous avez choisi de collaborer avec des Flamands sur Ghost Roads pour avoir accès au « in » d’Avignon ?

Le spectacle est en français! Si j’avais dit aux Flamands que j’allais à Avignon avec une pièce dans leur langue, ils m’auraient donné les budgets dans cette perspective. La trilogie avec Het Muziek Lod nous mènera dans 3 villes aux USA, au Chili et à Fukushima. Chaque volet correspond à une cité fantôme d’où les hommes sont partis. L’idée est de créer 3 monologues de villes fantômes qui se répondent. C’est une forme opératique, de monodrames pensés avec le compositeur Dominique Pauwels et des images filmées par Benoît Dervaux. Le premier monologue sera joué par l’artiste flamande Vivian De Muynck, le 2e par Jos Verbist et pour le dernier, j’ai le rêve secret de demander à Olivier Gourmet… Le premier volet sera dévoilé à la rentrée au Théâtre national, la trilogie est déjà programmée pour Mons 2015.

Les propositions pleuvent, comment vous gérez le succès?

Maintenant, on vient nous chercher. Les propositions vont dans tous les sens. Ce serait con d’arrêter ou de refuser de belles opportunités. Je me suis fixé 2 créations par an, en plus d’assurer les tournées. Il sera peut-être bientôt question de réduire l’agenda théâtre pour me concentrer sur la réalisation de mon premier film. Je fais des rencontres incroyables. Dernièrement j’ai discuté avec Eric Cantona, cela m’a super ému! Je suis fana de foot. Et prochainement, je vais aller voir le metteur en scène Roméo Castellucci, pour qui j’ai une profonde admiration.

Parce que, comme lui, vos aventures théâtrales sont radicales…?

Je veux créer des £uvres radicales mais justes, peut-être parce que je suis fou d’art contemporain, que cela imprègne mes spectacles. Mais le théâtre que je veux est aussi celui qui permet de raconter des histoires. Ça ne m’intéresse pas de créer un spectacle de 5 ou 6 h, j’aime les formats courts et sans concession.

Comme dans Chronique d’une ville épuisée?

Chronique… est une pièce sur la solitude, donc l’actrice ne parle pas. Le scénographe Vincent Lemaire m’a inventé un dispositif basé sur une idée simple: si le public est une caméra, je voudrais qu’il soit placé là et là. En 8 plans, l’£il du public passe d’un endroit à l’autre de l’appartement.

Et l’écriture?

L’écriture se fait sur le plateau, au beau milieu de la construction du spectacle. Maintenant, je me rends compte que je fais des choses plus écrites, moins jetées qu’avant. Je me pose d’ailleurs la question de l’édition. Actes Sud voulait publier mon travail, mais j’ai envie d’une radicalité dans le format livre. Chronique… pourrait être un roman-photo contemporain. J’ai besoin d’images dans mon travail, comme Sophie Calle, dont je suis fan.

En vous voyant diriger vos acteurs, on a quelque fois été surpris de vous entendre leur dire:  » effacez, effacez tout« . Vous cherchez le non-jeu?

Non, je veux juste enlever le « théâtral » et garder la substance de vérité. Il n’est pas besoin de parler fort, il y a des micros. En français, l’acteur de théâtre a un fardeau de 50 000 kilos à porter dans sa relation au langage qui s’appelle « théâtre français », là où le théâtre flamand a gardé un rapport concret au langage.

Un film en vue?

Je prépare un scénario. Je voudrais mettre Exils en cinéma, l’histoire de 4 destins croisés. Dans mes fantasmes, ce serait dans un style proche de Biutiful d’Inarritu, un réalisateur que j’adore.

Quid de votre prochain projet, Jéhovah?

Je le crée en avril à Lausanne, avant une tournée de 8 mois qui passera par le Théâtre Royal de Namur et le National. C’est un spectacle comme un livre d’enfants et d’images, avec une structure qui joue sur la profondeur, un environnement sonore puissant et une ambiance intime. J’ai l’idée d’un spectacle « power-point » -certains parlent de « kaléidoscope ». J’aimerais créer un spectacle pour enfants (et pour adultes) qui parlerait des sectes, ou plutôt de ces moments de fragilité dans la vie où on peut être happé par des sectes. Comme l’a été mon père. Sur scène, j’imagine une femme (jouée par 3 actrices) qui entre et sort d’une pièce sur un rythme qui ne change jamais. Le spectacle est dans un certain prolongement du Chagrin des ogres… l

u EXILS AU THÉÂTRE NATIONAL DU 24/01 AU 11/02.

u WWW.THEATRENATIONAL.BE

u LE BLOG DE FABRICE MURGIA: HTTP://EXILS.TUMBLR.COM, WWW.ARTARA.BE.

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