AVEC ZOOM,RACHID TAHA REVITALISE LA PUISSANTE LIGNE ÉLECTRIQUE RELIANT PRESLEY À OUM KALTHOUM, FAISANT BOUILLIR SON ARABOR’N’ROLL EN NOBLE COMPAGNIE: BRIAN ENO ET MICK JONES S’Y FONT DONC SUER LE BURNOU…

« Ils m’ont échangé contre Carla Bruni. » Et Rachid part dans un cocktail de rires et de toussotements fusant de son incroyable tronche de pirate kabyle. De fait, Madame Sarkozy passe de l’indépendant Naïve à Barclay (label d’Universal) alors que Rachid prend le chemin inverse: « Universal a carrément foutu mon album Bonjour à la poubelle, zéro promo. J’étais quand même avec eux depuis 1985. «  On discute de l’échange en marchant dans une rue d’Anderlecht vers la brasserie réservée pour un casse-croûte par Pias, le distributeur belge. Inévitablement, dans ce quartier mélangé, on croise des femmes en foulard. « Putain, il y a aussi cela chez vous? La première fois que mon père a vu une burqa, il s’est demandé ce que c’était. » Oriental « qui déteste le piment et s’énerve sur la merguez (sic) », le natif d’Algérie (1958) mène une carrière de sauvageon rock depuis la parution du premier disque de son groupe Carte de séjour, en 1983. On lui présente une photo d’époque.

(voyant l’image) « Je me rappelle du t-shirt avec un dessin fait par Futura 2000… Putain, cela doit être en 1984, on dirait un gamin! Avec Carte de Séjour, les journalistes se transformaient en anthropologues afin de comprendre ces rockers venus de banlieue et chantant en arabe. On a été les premiers à faire ça. En 30 ans, la France s’est davantage ghettoïsée, il y a un repli communautaire favorisé par la misère: à Paris, la classe ouvrière a été rejetée en banlieue. Il y a désormais les riches et les pauvres. »

Tu es plutôt chez les riches?

Je me le demande (sourire). L’industrie de la musique est quand même en voie de disparition et le musicien a besoin de créer des événements, de faire autre chose, des musiques de films, des dessins animés (sic).

Tu arrives en France en 1968, tu as dix ans, ton premier souvenir?

La neige d’Alsace, j’habitais le même bled que Rodolphe Burger, Sainte-Marie-aux-Mines, et sur Zoom, je refais un morceau avec Jean Fauque, le parolier de Bashung, un autre d’Alsace.

Ton album est pugnace, plus « rock » que les précédents: d’où vient ce mordant?

La rencontre avec le producteur Justin Adams -qui travaille avec Robert Plant- a favorisé ce côté live: je voulais du grunge et du blues, du Elvis, du Kurt Cobain. Je lui ai fait écouter Suicide et Alan Vega, Marvin Gaye, Chuck Berry: ces gens continuent à m’inspirer. En Algérie, je n’écoutais pas la radio mais j’allais voir des tonnes de films indiens dont les stars sont immenses. Le Bollywoodien Aamir Khan a fait plus d’un milliard d’entrées.

Comme toi avec Ya Rayah, la reprise en 1997 d’une chanson des années 70 de Dahmane El Harrachi!

C’est toujours un tube dans les mariages, les anniversaires, les bar mitzvah, les circoncisions… Quand j’étais gamin, je n’aimais pas la musique arabe, c’était le truc de mes parents: Oum Kalthoum, Farid El Atrache, sont venus bien plus tard. Pourtant, Oum Kalthoum, c’est 500 millions de fidèles! Quand deux Arabes se disputent, tu mets Kalthoum et la bagarre s’arrête, pour reprendre dès que le disque est fini (rires). Quand elle est venue à l’Olympia en novembre 1967, des gens ont accouru de toute l’Europe, y compris La Callas. Elle était liée de près à Nasser: chaque jeudi, un de ses concerts était diffusé à la radio égyptienne et écouté dans le monde entier.

Tu as grandi dans l’idée de panarabisme?

J’étais gamin et donc un peu jeune pour cela. Maintenant, on rêve d’une grande nation humaine mais on en est loin. Je m’intéresse à l’Histoire, particulièrement celle de la Seconde Guerre mondiale: cela aide à relativiser ce qui se passe aujourd’hui dans les pays arabes. Les musiciens anglais s’impliquent davantage que les Français: il y a, chez eux, une évidente relation entre musique et politique.

C’est ce que tu fais: l’union sacrée du rock, de la musique arabe et de l’électro!

La culture cinématographique, par exemple les films d’Elvis, m’a amené à la musique. Le premier tourne-disques, c’était à douze ou treize ans en Alsace, j’avais acheté La solitude de Léo Ferré et je me suis dit que putain, cela devait être bon ce disque. Je le mettais 24 heures sur 24.

Sur Zoom, Mick Jones -de Clash- joue et chante sur trois morceaux: quelle est l’histoire de votre rencontre?

J’étais allé voir Clash lors des concerts à Mogador, à Paris en septembre 1981: je voulais que Mick Jones produise le premier album de Carte de Séjour, j’avais déjà la clasherie en tête. Bien plus tard, en Angleterre, en jouant avec Patti Smith et Brian Eno, Jones est venu sur scène, et puis, lors de la remise d’un prix de la BBC en 2006, madame Joe Strummer était là: j’avais déjà repris Rock the Casbah en 2004 en arabe.

Autre lien, celui avec Brian Eno qui produit un titre de l’album.

On a eu le coup de foudre l’un pour l’autre. Lui aussi, je lui avais envoyé une cassette quand je cherchais un producteur pour Carte de Séjour, comme à Robert Plant et David Byrne, en 1981. Ces gens font partie de ma famille…

Le délit de sale gueule arabe, cela existe encore pour toi?

Oui, parfois à l’entrée des boîtes, il m’arrive qu’on me dise que c’est complet. Et puis là, tout à coup, Jean Dujardin passe avec cinq potes (rires). Pourquoi crois-tu que les rappeurs ou les mecs du rhythm’n’blues changent de nom en France? Les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne sont moins racistes que la France.

Tu retournes encore en Algérie?

Pffff, à chaque fois, c’est une valise de douleurs que d’y aller. Alors que c’est l’un des plus beaux pays du monde, riche en gaz et pétrole, en Méditerranée, berceau du monde. Et les gamins veulent partir, me demandent un visa. J’ai un pote algérien qui habite l'(hyper-chic) avenue Foch et je lui demande s’il n’a pas peur d’être là, au milieu des escrocs et des dictateurs (rires).

Ton plus gros succès?

1,2,3 Soleils, il y a une génération 1,2,3 Soleils. Mon fils de 28 ans, qui en avait quatorze à l’époque, me demande quand je le refais. Mon fils habite avec moi, j’ai une maison aux Lilas, à Paris. C’est un peu comme moi et mes parents, je leur avais dit: « Je ne vous donnerai jamais d’argent mais je ne vous donnerai jamais d’emmerdes non plus (sourire). »

Les révolutions arabes?

Le Printemps a semé une graine qui a donné de drôles de fleurs, mais c’est aussi un mauvais moment à passer. L’Occident a joué avec le feu pendant des années, cela a donné l’islamisme. La laïcité est pourtant là, ce sont pas plus de 5 % de connards qui causent les problèmes: je vais t’emmener à Paris et te montrer les endroits où les Arabes s’amusent, sans avoir rien à branler de la burqa.

Tu n’es pas religieux?

J’ai une philosophie, un islamisme à moi, qui me regarde.

EN CONCERT LE 3 MAI AUX NUITS BOTANIQUE, WWW.BOTANIQUE.BE

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