PETER GREENAWAY SIGNE UNE FANTAISIE BAROQUE AUTOUR DU SÉJOUR D’EISENSTEIN À GUANAJUATO OÙ, PARTI TOURNER QUE VIVA MEXICO!, LE RÉALISATEUR RUSSE AURA LA RÉVÉLATION DE SON HOMOSEXUALITÉ.

Peter Greenaway ressemble à ses films, un mélange d’érudition et d’extravagance. A 73 ans, et quoique n’en finissant plus de professer la mort imminente du cinéma, le réalisateur britannique a conservé son enthousiasme intact. La preuve avec Eisenstein in Guanajuato, un film retraçant les dix jours passés par le cinéaste russe au Mexique, en 1931, quand, parti tourner Que Viva Mexico!, il eut, à l’en croire, la révélation de son homosexualité. Des circonstances ayant eu le don de stimuler l’imaginaire de l’auteur du Ventre de l’architecte et The Pillow Book, intarissable sur le sujet.

« Il n’y a que fort peu de visionnaires au cinéma, et je le place au sommet de cette liste, s’enflamme Greenaway au seul nom d’Eisenstein. J’ai découvert son oeuvre alors que je faisais des études de peinture, pendant les années 60, et je n’ai jamais cessé d’y retourner depuis. Nous nous ouvrions également à d’autres formes d’expression artistique, et j’ai donc vu La Grève, qu’il avait réalisé en 1924, presque par accident. C’est un film extraordinaire, le premier chef-d’oeuvre de l’Histoire du Septième art. » Eisenstein y révolutionnait les codes du cinéma, et en (ré)inventait le vocabulaire et les formes: « La Grève a fait l’effet d’une bombe, poursuit Greenaway. Et quand il a tourné Le Cuirassé Potemkine dans la foulée, le film a eu instantanément une influence considérable, partout dans le monde. Au point que Mary Pickford et Douglas Fairbanks ont tout fait pour qu’il se rende à Hollywood. » La suite appartient à l’Histoire, comme l’on dit, l’aventure américaine du cinéaste virant au fiasco, sa route le conduisant in fine et après bien des tribulations au Mexique, sur les conseils de Charlie Chaplin et Upton Sinclair.

Passablement rocambolesque, son séjour mexicain constitue la sève de Eisenstein in Guanajuato, biopic qui n’en est pas tout à fait un. Disciple brillant, Greenaway y cite abondamment son maître, et notamment sa science du montage –« si l’on veut faire un film contemporain à son sujet, il faut prendre sa vision en considération »-, tout en s’attachant moins, en définitive, à Eisenstein au travail, qu’à l’homme. « Je vis à Amsterdam. Il y circule une théorie sur Van Gogh au nom de laquelle on s’intéresse plus volontiers au fait qu’il ait coupé son oreille gauche pour la donner à une prostituée qu’à la manière dont il a peint Les Tournesols. C’est la nature humaine: nous sommes toujours intéressés par la personne derrière l’oeuvre. » Et le film de s’insinuer dans l’esprit d’un créateur se brûlant au contact de Eros et Thanatos, « à l’écart des pressions soviétiques, et à l’abri de la paranoïa stalinienne. Tout le monde mourait autour de lui, ou était envoyé en Sibérie, du fait de la détermination du pouvoir de gouverner l’imagination des artistes. Eisenstein y a selon moi échappé parce que Staline avait la conviction que si le cinéma devait être utilisé comme instrument de propagande, il serait la personne idéale pour s’en acquitter… »

Déodorant et propagande

Hasard du calendrier des festivals, Eisenstein in Guanajuato est projeté à Berlin au lendemain de Fifty Shades of Grey, et c’est peu dire que les films proposent des représentations totalement différentes de la sexualité. « Nous avons tous un corps et des organes génitaux, mais le cinéma américain voudrait nous faire croire que nous sommes asexués. Le cinéma hollywoodien a une attitude déodorante à l’égard du sexe, il n’y a pas d’odeur, ni de fluides corporels… Pourquoi ne pas parler ouvertement du sexe? Evidemment, en Russie, cela ne va pas aller sans poser de problèmes, alors que je suis censé célébrer leur plus grand cinéaste. Maintenant qu’ils savent que Tchaikovsky était homosexuel, il est temps qu’ils réalisent qu’il en allait de même d’un autre héros… » Qu’il y ait là, plus encore dans le contexte présent, comme un parfum de provocation n’est certes pas pour déplaire au cinéaste –« Je ne pense pas que mon film sera jamais présenté au festival de Moscou, sourit-il (1), mais cette homophobie est préfabriquée, c’est de la propagande de l’Etat. » La propagande, on en revient donc toujours là, dont Eisenstein fut en son temps un instrument: « C’est vrai, opine Greenaway, mais l’art à son plus haut niveau est toujours de la propagande. La Chapelle Sixtine peinte par Michel-Ange constitue une extraordinaire propagande pour le catholicisme romain, mais nul ne songerait à l’en accuser… »

(1) EN QUOI LES ORGANISATEURS L’ONT DÉMENTI, LE FILM Y ÉTANT PROGRAMMÉ LA SEMAINE DERNIÈRE.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

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