It’s Not Only Rock’n’Roll, Baby! visite les autoportraits ensanglantés de Pete Doherty, les luminaires de Brian Eno, l’over-kitsch de Bianca Coco Rosie. D’autres ouvres de rockers aussi, calées dans une audacieuse exhibition transgenre…

Arty farty est une vieille expression anglo-saxonne qui mixe art et « pet » dans la belle langue de Monsieur Doherty. Autrement dit, l’art qui pète plus haut que son orifice naturel. Croyance préhistorique qui placerait les rockers au-dessus de la sphère artistique comme si celle-ci était franchement plus nase que la peste. Pourtant, dès les premiers clichés fifties d’Elvis Presley par Alfred Wertheimer en 1956, le rock et l’art forment un couple naturel et indissociable. Cinq décennies après Elvis, Jérôme Sans, 47 ans, Parisien au look d’éternel jeune homme moderne, ex-tête chercheuse du Palais de Tokyo à Paris, a eu l’idée de rassembler les £uvres plastiques d’une vingtaine de musiciens gravitant autour du rock. Doherty, Eno, Yoko Ono, The Kills, Miss Kittin’, Bianca Casady de Coco Rosie, Fischerspooner, Patti Smith et le formidable local Bent Van Looy (Das Pop) sont parmi les castés du temple de la Culture- le grand C est de mise – qu’est le Palais des Beaux-Arts, construit par un non-rocker strict, Monsieur Horta. Une première.

Focus: les £uvres plastiques éclairent-elles la musique de leurs auteurs?

Jérôme Sans: c’est quasiment la même écriture. Quand on regarde les photos de Patti Smith, on entend sa poésie personnelle et on retrouve le code couleur de ses vêtements noir et blanc, sa proximité avec Mapplethorpe, nourrie par ses références à Rimbaud. Il y a une vraie correspondance entre sa musique et son travail plastique. Même chose chez Fischerspooner qui a d’abord été un performer…

La perméabilité new-yorkaise n’est-elle pas plus forte qu’en Angleterre?

Au contraire, les écoles anglaises sont d’une grande liberté, c’est au Saint Martins College Of Art & Design qu’ont débuté les Sex Pistols ( Ndlr, en novembre 1975). Il est vrai que le New York des seventies a été une sorte de territoire d’expérimentation où des artistes du monde entier venaient se retrouver et réinventer l’écriture du monde contemporain.

La preuve avec Yoko Ono, la doyenne de l’exposition, qui expose des cercueils d’où sortent des arbres…

Yoko travaille sur le cycle, l’ironie de la vie qui est truffée de morts et d’histoires. On est tous des boîtes ambulantes et les boîtes viennent de ces arbres. Son travail est complètement issu de l’ère Fluxus, de la performance, du désir d’aller aux limites des choses, de poser des questions sur la vie, l’art et la société. Il s’agit d’un engagement permanent. Le travail de beaucoup d’artistes actuels est issu de son écriture: ses premières vidéos sont complètement troublantes.

Y a-t-il plus de liberté dans l’art que dans le rock devenu archi corporate?

Ce n’est pas pour rien que pas mal de musiciens font naître leur problématique dans ce domaine de l’art plastique. Il y a des règles mais elles sont là pour être détournées, renversées, annihilées: le monde de l’art reste encore artisanal. L’idée de cette exposition n’est pas de choisir des artistes très reconnus mais de montrer des icônes, une autre histoire du rock’n’roll. Comment réinventer une histoire musicale qui n’est ni dans les caves ni dans les écoles de musique, mais dans le domaine des arts visuels?

L’un des moments forts de l’expo est amené par Alan Vega (artiste solo et moitié du groupe Suicide) et son arte povera électrique (photo)…

Il a inventé un vocabulaire plastique très proche de son vocabulaire musical, il travaille comme plasticien avec des ampoules, des barres de néon, avec ce qu’il trouve dans les rues de New York. Il y a trente ans, il a travaillé avec des machines, comme une réaction à l’idée mythifiée du groupe, inventant une partie de l’histoire de la musique électronique… Et puis, il a créé ce lieu extraordinaire à New York, ouvert 24 heures sur 24, qui n’a pas tenu très longtemps. Forcément (sourire). Vega écrit tous les jours des mots puis dessine ce qui constitue presque des autoportraits. On ne sait pas si c’est obsessionnel, minimal, mais c’est un journal intime et extraordinaire.

Bianca Casady de Coco Rosie et le plus obscur Kembre Pfahler nous emmènent à la frontière du kitsch…

Je ne sais pas s’il y a un retour du kitsch, cela fait partie d’une écriture qui est celle de l’exagération, qui se place dans la mythologie de cette scène-là: l’artiste outrancier, l’artiste qui fait du bruit, l’artiste coloré…

Dans l’un des communiqués de presse, Brian Eno est rebaptisé Brain Eno. Lapsus révélateur!

Brian Eno a été la tête pensante de toute une scène anglaise des années 70, il a été producteur de nombre de groupes et a réinventé la façon d’écrire la musique, instaurant les musiques pour aéroports et autres lieux improbables. Il fait aujourd’hui des installations sonores dans les quelles le visuel est extrêmement important, ce sont des pièces qui ne se reproduisent pas deux fois… Ce n’est pas la répétition d’une boucle mais une installation sensorielle.

Le Belge de l’expo fait forte impression!

Bent Van Looy réalise un travail pictural extraordinaire, digne de tout ce que l’on peut voir aujourd’hui internationalement dans le monde de l’art. C’est une peinture tout à fait contemporaine, ironique, intelligente, qui réinvente son vocabulaire, pas une peinture référencée au passé de façon trop sérieuse. Bent a réussi à donner du son à la peinture…

u Expo du 20/06 au 14/09 au Bozar à Bruxelles.

u L’exposition est accompagnée de diverses performances musicales en juin-juillet, une chaque vendredi soir, dont on peut déjà confirmer la date du 27 juin avec La fille d’O et, last but not least, la présence physique et prolongée de Fischerspooner qui s’installe carrément dans l’expo du 19 juin au 10 juillet, tel un studio vivant et direct.

u www.myspace.com/itsnotonlyrocknrollbaby

u www.bozar.be

INTERVIEW PHILIPPE CORNET

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