Même si on exclut des débats le projet Dark Night of the soul (2009) qui l’a vu collaborer pour le volet visuel du projet avec Sparklehorse et Danger Mouse, David Lynch n’a pas dû attendre la sortie de son premier album, Crazy Clown Time, depuis quelques mois dans les bacs, pour que son nom squatte les critiques de disques et les colonnes de la presse musicale spécialisée. Cela fait déjà quelques années que le réalisateur de Sailor et Lula, Twin Peaks et compagnie fait causer les petits jeunes de l’indé et/ou marque de son empreinte à la fois sonore et fantasmagorique leur production plus ou moins convaincante.

Le terme « lynchéen » (ou « lynchien », c’est selon) est bien plus souvent utilisé dans le monde de la musique que dans l’univers du cinéma. Etre lynchéen, c’est être vintage et hors du temps, vénéneux, troublant, flippant, froid, glaçant… Attirant et repoussant. Erotique et iconique. Barbie et zarbie. Il y a du mystère chez le réalisateur de Mulholland Drive comme il y en a chez tous les plus ou moins jeunes gamins qui revendiquent son influence mais ont préféré la guitare (ou le clavier) à la caméra. La musique au cinéma.

C’est le cas d’Alex Zhang Hungtai, alias Dirty Beaches. Son premier boulot était de louer des VHS nazes à des gros mecs antipathiques dans un vidéo club tout pourri d’Hawaii. Un beau jour, le type aujourd’hui installé à Vancouver s’est mis en tête d’enregistrer des musiques de films qui n’existeraient jamais.

 » Tout vient d’un mélange dans ma tête entre le cinéma et le rock, raconte ce fils spirituel d’Alan Vega à Jean-Vic Chapus dans un passionnant dossier musical consacré à Lynch et publié dans le magazine VoxPop de novembre-décembre 2011. Le cinéma que j’aime est pareil aux disques qui me font vibrer. A mi-chemin entre quelque chose d’expérimental et un langage simple. Mes héros ont souvent cette image d’outsiders mais ils viennent d’une culture populaire. Pas élitiste du tout. David Lynch donc, mais aussi Jim Jarmusch et Wong Kar-Wai. Ils ont fait le plus dur: appliquer une vision personnelle de la culture populaire (…) Quand j’ai vu cette scène de Sailor et Lula avec Nicolas Cage qui chante du Elvis Presley habillé avec une veste en peau de serpent, ça m’a fait rire, jubiler, puis ça m’a rendu mélancolique. La réalité de Lynch, c’est un paysage rock des années 50 perdu dans la violence du monde actuel. »

Frère de sens

Comme un Tarantino ou un Jarmusch, David Lynch comble aussi, d’une certaine manière, à travers ses bandes originales aux petits oignons, le vide laissé par des labels fainéants, des journalistes musicaux standardisés et des radios aseptisées… Permettant de (re)découvrir les pépites oubliées des années 50 et 60. Voire de mettre la main sur des groupes excitants venus de régions du globe vers lesquelles on tend rarement l’oreille… A l’instar de Lynch et de ses choix culottés de glisser du rock teuton (Rammstein) ou un groupe polonais (Kroke) dans ses B.O., la lynchéïsation de la musique indie est forcément liée au travail d’Angelo Badalamenti. Son double sonore. Son frère de sens. Sans le compositeur et arrangeur américain, né à New York en 1937, et qui en 95 a composé et produit un disque ( A Secret Life) pour Marianne Faithfull, les films de Lynch auraient des ambiances différentes et des tas de disques indé aussi.

Dans un passé récent, on peut prêter à Taylor Kirk des humeurs lynchéennes. Comme par hasard, avant de sortir des disques sous le nom de Timber Timbre, l’époustouflant Canadien a étudié le cinéma.  » Je m’enregistre depuis longtemps. J’ai joué dans des tas de groupes, touché à plein d’instruments quand j’étais à la Film School de Toronto. Je n’écrivais pas de chansons. Je ne chantais pas vraiment. J’étais fasciné par les musiques de films. Et en fait, je tournais quelque part des films pour pouvoir en composer les bande-sons. Ma musique est plus visuelle que textuelle.  »

Il y a encore du Lynch, autant que du James Ellroy, dans le « Hollywood sad core » (c’est ainsi qu’elle définit sa propre musique), les accents glamours, les allures d’icône abîmée, le mystère et la schizophrénie de Lana Del Rey. Lizzy Grant (son vrai nom) prétend d’ailleurs qu’enfant, elle partait s’évader seule dans les forêts de Lake Placid, au nord de New York. Un coin isolé, montagneux, très sombre avec un côté Twin Peaks. Lana se sent chez elle dans les films de Lynch qui, pense-t-elle, a, comme elle, un c£ur noir.

Les Belges d’Amatorski ont eux aussi souvent été rattachés aux ambiances cinématographiques. Et tout particulièrement aux univers des films de Lynch. Contactés par de nombreux jeunes réalisateurs, les Gantois ont même eu l’idée de monter une tournée intitulée Amatorski Film où leur musique sert de bande-son au court métrage d’avant-garde, belge lui aussi, Impatience (1928), quand ce n’est pas l’inverse, des images qui se retrouvent posées sur leurs chansons. Who’s next? l

u DIRTY BEACHES: BADLANDS (DIFFER-ANT), TIMBER TIMBRE: TIMBER TIMBRE (FULL TIME HOBBY), ANNA CALVI: ANNA CALVI (DOMINO). AMATORSKI: TBC (MUNICH) EN CONCERT DANS LA FORMULE AMATORSKI FILM LE 29/01 À L’AB.

J.B.

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