DANS LA SUÈDE DU DÉBUT DES ANNÉES 80, TROIS GAMINES S’ÉCHINENT, DU HAUT DE LEURS 13 ANS, À MONTER UN GROUPE PUNK. L’OCCASION, POUR LUKAS MOODYSSON, DE SIGNER UNE CHRONIQUE SAVOUREUSE ET SENSIBLE.

Quatre ans que l’on n’osait plus l’espérer, ce come-back de Lukas Moodysson. Soit depuis un Mammoth boursouflé qui avait vu le réalisateur suédois s’égarer, comme tant d’autres avant lui, dans les méandres d’une production internationale incertaine. Renouant avec la veine de ses premiers longs métrages, les Fucking Amal et Together qui le révélaient à la toute fin des années 90, We Are the Best! tient dès lors du salutaire retour aux sources en même temps que de la renaissance. Ce dont le cinéaste ne disconvient d’ailleurs pas: « Après Mammoth, j’ai éprouvé le besoin de prendre mes distances avec la réalisation. Ce film m’avait tenu longtemps loin de chez moi, s’étant avéré compliqué à faire, et j’ai voulu pouvoir passer plus de temps à la maison. Mais je ne suis pas resté inactif pour autant: j’ai écrit deux romans, et j’ai enseigné un moment dans une école de cinéma à Helsinki. » Expérience qui aura contribué à faire renaître en lui l’envie: « Etre professeur, et laisser à quelqu’un d’autre le soin de diriger, s’est révélé fort agréable. Je pouvais prendre du recul, observer et formuler des idées, sans avoir la responsabilité du résultat. Mais parfois, l’envie d’y mettre mon grain de sel me démangeait, et cela m’a sans doute donné le courage de replonger… », volonté conjuguée à « l’envie de tourner un film heureux », histoire d’exorciser la noirceur l’entourant alors.

Remonter le temps

L’occasion lui en sera fournie avec le roman graphique Never Goodnight, écrit par Coco Moodysson, sa femme à la ville. Une histoire le ramenant à Stockholm, en 1982, sur les pas de trois jeunes aspirantes punkettes, background qui lui était on ne peut plus familier: « Je me suis trouvé un peu dans la même situation qu’elles. Je suis né en 1969, j’avais donc 13 ans en 1982, et c’en était fini du punk. En Suède, les meilleurs groupes avaient splitté en 1981 ou en 1982, et les meilleurs albums avaient été enregistrés quelques années plus tôt encore. Si l’énergie était toujours bien présente, il y avait aussi le sentiment d’arriver un peu trop tard. » Une résonance personnelle que le film lui a permis de creuser: « J’ai envisagé un moment de situer cette chronique de nos jours, parce que je craignais de ne pas avoir l’énergie de tourner un film « d’époque ». Trouver les voitures appropriées, les vêtements… est tellement difficile. On ne peut se contenter d’aller dans la rue et filmer, il faut toujours construire quelque chose. Mais au bout du compte, recréer cet univers s’est révélé l’un des aspects les plus satisfaisants de l’entreprise. Je suis content des fringues, bien sûr, mais aussi de la musique: les groupes préférés de mon adolescence font désormais partie de l’un de mes films. J’ai eu le sentiment de pouvoir remonter le temps, et raconter la colère, et la tristesse du gamin de douze ou treize ans que j’étais, et qui n’aurait jamais imaginé pouvoir faire un jour un film avec cette musique. »

S’attachant aux premières vibrations adolescentes de ses protagonistes, Moodysson s’inscrit dans un courant fécond du cinéma suédois: « Une tradition veut que nous tournions des films pour ou à propos des jeunes et des adolescents. Nous prenons les enfants et ces films au sérieux, ce dont nous pouvons légitimement être fiers. » Partant, et même si la différence d’époque impose une perspective autre, il émane du film un sentiment de vérité à l’épreuve du temps, restituant comme rarement la sensibilité propre à l’âge ingrat, suivant la terminologie communément admise, assortie de délicieuses poussées d’innocence. « Retrouver cette humeur aurait sans doute été plus difficile si le film avait été situé de nos jours, observe encore Moodysson. J’ai des enfants adolescents moi-même, mais je ne suis pas certain de comprendre exactement la façon dont le monde fonctionne aux yeux des ados d’aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux omniprésents. » Au fait, le punk existe-t-il toujours à ses yeux dans cet horizon mouvant? « Je ne sais pas, mais je suppose, oui. Pour moi, il s’agit surtout d’une attitude, la conviction de pouvoir faire les choses, immédiatement, sans devoir nécessairement passer par l’université par exemple. Je suis toujours adepte de cette immédiateté, j’y recours dans mes films, de même qu’à une certaine forme de chaos, en essayant de ne pas trop planifier. » Elan spontané dont We Are the Best! se fait la vibrante expression: Punk Not Dead, en effet!

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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