LE PAYS DU FOOTBALL EST AUSSI CELUI D’UNE LITTÉRATURE NOIRE ET PULP EN PLEINE EFFUSION, À L’IMAGE DES SOCIÉTÉS ET DES VILLES-MONDES QUE SES ÉCRIVAINS DÉCRIVENT. RENCONTRE AVEC L’UN D’EUX, EDYR AUGUSTO.

À LA VEILLE DU MONDIAL, FOCUS PLANTE SES CRAMPONS SUR LE TERRAIN DE LA CULTURE. DANS L’AXE CENTRAL, UN DOSSIER SUR LA LITTÉRATURE PULP DO BRASIL, AU BACK GAUCHE, UN REFRAIN SUR LES GROUPES TOUT FEU TOUT FOOT, ET À LA POINTE DE L’ATTAQUE, DES PHOTOS ILLUSTRANT LA PASSION D’UN PEUPLE POUR LE BALLON ROND. TOUT CE QUE VOUS NE VERREZ PAS SUR VOS ÉCRANS SE TROUVE ICI!

Le contraire eût été une énorme faute de goût: l’excellent festival international du livre Etonnants Voyageurs, consacré aux littératures étrangères et contemporaines, s’ouvre ce week-end à Saint-Malo avec le Brésil comme invité principal et d’honneur. Plus qu’une bonne idée, à l’heure où tous les médias vont avoir le regard focalisé sur le ballon rond et la ferveur brésilienne: le pays de Pelé s’affirme aussi, depuis quelques années, comme le berceau d’une littérature urbaine et violente d’une rare créativité, devenue une source rafraîchissante -et encore fraîche!- de titres à traduire et importer. Car derrière le classicisme d’un Jorge Amado ou le succès consensuel d’un Paulo Coelho, se cachent, depuis Paulo Lins, une kyrielle d’auteurs branchés polar ou pulp, dont les livres incarnent des thèmes et des maux typiques de ce début de nouveau siècle: violence et misère des grandes villes, surpopulation, déshérence de la jeunesse, ravages de la corruption, mais aussi enjeux climatiques et environnementaux, questionnement sur l’identité et les racines… Autant de thèmes qui nous concernent tous, mais qui se cristallisent au Brésil et dans sa littérature noire, toujours baignée d’atavismes, mais désormais mondialisée.

Cité de Dieu et samba

Paulo Lins a sonné la charge en 1997, avec sa célèbre Cité de Dieu (qui offrait un premier témoignage sans fard, et de l’intérieur, sur les implacables réalités des favelas de Rio). Luiz Ruffato a ensuite imposé sa vision et sa patte, avec Tant et tant de chevaux, paru chez Métailié en 2005, réédité récemment: un roman-somme découpé en 69 regards, nécessaires pour décrire le quotidien grouillant de Sao Paulo. D’autres ont suivi, de Bernardo Carvalho, dont les intrigues traversent le monde au jeune prodige Joao Paulo Cuenca, incarnation à lui seul de cette « culture monde » qui se cristallise à Rio -il faut lire son premier roman paru chez Cambourakis, La seule fin heureuse pour une histoire d’amour, c’est un accident, mélange détonant de littérature sud-américaine et de pop culture nipponne…

Le Brésil regorge donc de footeux, mais aussi d’auteurs à suivre et à lire, sans qu’ils se laissent pour autant enfermer dans un genre sans doute trop étroit pour eux: le grand retour de Paulo Lins est ainsi annoncé pour septembre, chez Asphalte: Depuis que la samba est samba revient dans les rues sombres de Rio, mais en 1920, et sur les traces de ce genre musical devenu révolution culturelle. Une grande fresque syncopée et historique dont on reparlera, et qui en dit long sur le potentiel actuel de la littérature brésilienne… Pour l’heure, rencontre avec Edyr Augusto, qui ne quitte pas les éditions Asphalte ni sa région natale de Para, au nord du pays: après Belém, ville gangrénée par la drogue et la corruption, il investit Mosqueiro, l’île de villégiature de son enfance devenue une terre de meurtres de sang-froid, dans Moscow. Un roman court et suffocant, qui nous emmène sur et dans la tête, en vrille, du jeune Tinho, dont la déshérence et les pulsions de mort résonneront partout. Un style sec, direct et violent, loin des clichés sud-américains, et pourtant très local…

Moscow, après Belém: est-ce La Comédie humaine réduite à cette région particulière du Brésil?

Je ne sais pas. Les gens sont les mêmes dans le monde entier, et j’écris sur les gens. Je ne me définis pas comme un écrivain local ou régionaliste. Nous en avons: dans leurs livres, vous trouvez des plats, des animaux et des fruits typiques, des mystères de l’Amazonie, des Indiens… Moi, j’écris sur les gens qui vivent en Amazonie, dans l’Etat du Para, à Belém. Les gens ne s’attendent pas à ce que nous ayons Internet, la télévision par câble, le satellite, et que nous recevions des nouvelles instantanées du monde entier. Et les jeunes sont les mêmes, partout dans le monde, avec des parents qui travaillent toute la journée, qui regardent la télé le soir. Les adolescents ont leur vie, dans la rue. Il n’y a pas de dialogue, de famille, d’éthique.

Il n’y a aucune culpabilité chez Tinho, et dans Moscow. Mais y a-t-il de l’espoir?

Oui, il y a de l’espoir. Si les pouvoirs publics mettent l’accent sur la culture et l’éducation, donnent des emplois aux jeunes, reconstruisent de belles maisons. Il y a toujours de l’espoir.

Un mot, inévitable, sur la Coupe du Monde: qui l’emporte chez vous, le fan de foot ou le citoyen brésilien?

J’adore le foot, j’y joue toutes les semaines. Mais ce qui se passe en ce moment au Brésil, c’est un ras-le-bol généralisé. Les hommes politiques sont nuls, le service public est un vain mot, l’inflation fait exploser les prix, la culture et l’éducation sont négligées… Mais au moment où l’arbitre siffle le début du match, nous redevenons des fous de foot.

Cette coupe du monde est-elle une source d’inspiration pour un auteur brésilien?

Non. J’ai tout ce qu’il me faut pour un nouveau livre déjà. Pour ce qui est de la Coupe du Monde, je veux juste que le meilleur gagne, et j’espère que ce sera le Brésil.

MOSCOW, DE EDYR AUGUSTO, ASPHALTE ÉDITIONS. TRADUIT DU PORTUGAIS. 130 PAGES.

9

FESTIVAL ETONNANTS VOYAGEURS, DU 7 AU 9/06, À SAINT-MALO. WWW.ETONNANTS-VOYAGEURS.COM

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content