Years and Years, prophétie anglaise: « Il y a du Boris Johnson, du Geert Wilders dans le rôle d’Emma Thompson »

Emma Thompson dans le rôle de Vivienne Rook: le fil rouge de Years and Years.

Série d’anticipation à tendance dystopique, Years and Years catapulte une famille anglaise dans les quinze prochaines années. Un scénario qui a des airs de prophétie. Décryptage.

Véritable épopée dramatique créée par Russell T Davies (Queer as Folk, Doctor Who…), Years and Years dessine une société qui change plus vite que jamais. On y suit la famille Lyons, avec ses espoirs et ses déconvenues. Chaque épisode -sur six en tout- nous propulse un an ou deux dans le futur. On y découvre un monde instable, fragilisé par la politique, l’économie et les avancées technologiques. Emma Thompson y joue Vivienne Rook, une femme au verbe haut qui décide d’entrer en politique. Au moment de sa diffusion en Grande-Bretagne en mai dernier, Years and Years (lire notre critique) sonnait déjà comme un coup de semonce sur le futur proche qui menace le pays (et le reste du monde par la même occasion). Aujourd’hui, elle ressemble déjà à une prophétie. Philippe Vervaecke, professeur des universités en civilisation britannique à Lille et spécialiste de la mobilisation politique des femmes, nous livre son analyse. Cet entretien a été réalisé avant la nomination de Boris Johnson au poste de Premier Ministre.

Vous qui étudiez la société britannique, quel regard portez-vous sur cette fiction d’anticipation?

Quasiment toutes les grandes questions du temps sont posées. Souvent avec beaucoup d’humour. Ce n’est pas lourdingue, ni didactique. C’est malin dans la manière dont les sujets sont amenés. C’est un miroir à peine déformant tendu à la société actuelle. C’est très rafraîchissant cette manière de s’emparer de ces sujets. Entre la question des réfugiés, celle du Brexit qui est juste en filigrane, la question du populisme, des fake news, de l’intelligence artificielle, du transhumanisme… Tous les grands sujets de société d’aujourd’hui y sont traités, et de manière assez séduisante.

Que vous évoque le personnage d’Emma Thompson?

Emma Thompson fait un numéro extraordinaire, complètement à contre-emploi de ses convictions personnelles! Son personnage de Vivienne Rook est très bien vu. Pour moi en tant que spectateur, il y a une vraie attente sur ce qu’elle osera faire et ce qu’elle va finir par faire. On sent un vrai potentiel de dérapage chez ce personnage. On voit bien les références au Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. D’ailleurs, il y a une astuce humoristique dans la désignation du parti de Viv Rook qui s’appelle « 4 étoiles ». Cela désigne en réalité le mot « fuck »! C’est vraiment très drôle. Ce personnage de Viv Rook, extérieur à la famille Lyons, est un peu le fil rouge dont on pressent qu’il va être très propice aux rebondissements ultérieurs. C’est très bien fait pour tenir le spectateur en haleine.

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Est-ce qu’elle correspond à des personnages politiques britanniques connus?

Oui, tout à fait! Elle me fait penser à une politicienne conservatrice, Ann Widdecombe (du Parti du Brexit, NDLR), une spécialiste de la provoc’ sur des idées réactionnaires, notamment sur les sujets de société. Le caractère plausible de ce qui est raconté tient grâce à ces précédents qui ressemblent étrangement à cette Viv Rook. Pour moi, c’est un Nigel Farage au féminin. Avec aussi du Geert Wilders… Elle concentre un ensemble de sujets politiques, ce qui rend son personnage particulièrement prenant. Il y a du Boris Johnson pour le côté outrancier. En anglais, on désigne par « maverick » les politiciens inclassables, indépendants et qui n’ont pas leur langue dans leur poche, ce qui est clairement le cas de cette Viv Rook. Ce faisceau d’éléments et de références fait que son personnage est, pour le coup, malheureusement crédible.

Imaginez-vous la possibilité de voir une telle personnalité émerger prochainement?

Il y a une réplique de Viv Rook extrêmement percutante dans le premier épisode. Elle dit: « Le parti travailliste est mort. Le parti conservateur est mort et les libéraux-démocrates sont morts« . Donc en gros, les trois grandes familles politiques qui ont structuré toute la vie au cours des 100 dernières années et plus… Ces référents de la culture politique britannique sont réellement aujourd’hui dans une situation de déroute, de banqueroute morale. Ça s’est vu lors du dernier scrutin européen avec les succès du Parti du Brexit de Farage, et même le succès déjà de l’UKIP aux précédentes élections européennes qui était annonciateur du référendum de 2016. Donc oui, l’irruption d’une Viv Rook sur le devant de la scène politique n’est pas à exclure. C’est déjà le cas en quelque sorte. Cette grossièreté qu’elle s’autorise en direct à la télé, aspect distinctif de son personnage, cela ne vient pas de nulle part.

Y a-t-il déjà eu des incidents du même ordre?

Deux hommes politiques ont utilisé en public dans des discours le terme « pickaninny » qui veut dire « négrillon » et qui est un terme très insultant, très raciste et polémique. D’abord, Enoch Powell dans un discours de 1968 très connu qui s’appelle Les Rivières de sang, où il prophétise la guerre raciale en Grande-Bretagne. Et Boris Johnson, dans un éditorial qu’il a dû écrire vers 2003 à l’époque où il travaillait comme éditorialiste au Spectator… Ce type de précédents montre que ce n’est bien évidemment pas la manière dont conventionnellement les politiciens en Grande-Bretagne vont débattre mais on retrouve des figures de ce genre, jumelles du caractère outrancier de Viv Rook.

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