IMPROBABLE FESTIVAL IMPLANTÉ À ROUYN-NORANDA, AU BEAU MILIEU DES FORÊTS TYPIQUES D’AMÉRIQUE DU NORD, LE FME DÉFEND LA CULTURE DANS LA BROUSSE ET LA MUSIQUE QUÉBÉCOISE, SOUVENT D’EXPRESSION FRANÇAISE, EN PAYS MAJORITAIREMENT ANGLO-SAXON.

Tu vois ce cours d’eau? C’est par ici que mon grand-père est arrivé en barque. » Pendant le trajet qui mène du mini aéroport à la ville, village dans l’âme, de Rouyn-Noranda, les chauffeurs bénévoles, fidèles à la chaleureuse réputation de la région, font la conversation. L’anecdote est plutôt révélatrice. Car si des fouilles archéologiques révèlent une présence amérindienne vieille de 8000 ans, Rouyn-Noranda est à peine plus vieux que le rock.

Avant qu’Edmund Horne, qui s’y aventure pour la première fois en 1911, découvre ses énormes gisements de cuivre, l’Abitibi-Témiscamingue est une vaste forêt sauvage rongée par des rivières et des lacs presque inaccessibles. Les 2 villes, Rouyn (nom du capitaine du régiment Royal-Roussillon en 1759) et Noranda (contraction de nord et de Canada) naissent en 1926 et commencent surtout à se développer en 29. Lorsque le gouvernement du Québec encourage l’implantation de colons au nord afin d’enrayer l’exode massif vers la nouvelle Angleterre.

Capitale administrative de la région, puis aussi cité universitaire comptant un millier d’étudiants à temps plein formés aux tâches de bureau, à la comptabilité et à l’enseignement, Rouyn-Noranda et ses quelque 40 000 habitants ont conservé leurs activités minières et forestières. Ils ont aussi décidé d’exploiter leur potentiel touristique. Pas étonnant au vu des grands espaces et des paysages enchanteurs. Un peu plus quand on sait que la région est fortement frappée par la pollution. Les émissions de dioxyde de soufre dans l’atmosphère étaient encore, il y a peu, 2 fois plus élevées que dans la région de Montréal. Une firme locale a même dû, il y a une quinzaine d’années, intégralement nettoyer la ville et offrir de nouvelles pelouses à ses habitants.

700 000 dollars de budget

Connus pour leur festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, Rouyn et sa région se sont imposés depuis quelques années comme le théâtre de plusieurs événements culturels majeurs ou du moins décalés. Le festival des guitares du monde, la biennale internationale d’art miniature, le festival du documenteur et donc, c’est ce qui nous y amène, le FME. Soit le festival de musique émergente. On n’y est pas allé à la rame. Mais se rendre à Rouyn-Noranda reste tout de même une fameuse expérience. « Up in the air », on parle d’une heure et demie à bord d’un petit coucou. Le genre d’avion où Grimur Atlason, le viking qui programme le festival Iceland Airwaves, est incapable de se tenir debout. Sur terre, comptez une dizaine d’heures au milieu des bois, et même si vous ne les voyez pas, des ours et des caribous.  » C’est bientôt la période de la chasse. C’est à ce moment-là que vous devez venir si vous voulez nous prendre nos femmes. Il n’y a pratiquement plus d’hommes en ville. Enfin plus de fils et de maris…  » Le Québécois, et tout particulièrement le Norandais, a le sens de l’humour.

Rouyn-Noranda, pendant l’année, c’est la salle municipale qui se partage entre danse, théâtre et musique. Le Cabaret de la dernière chance, un troquet qui accueille des expos d’art visuel et des concerts. Le Paramount, momentanément fermé. Et l’Agora des arts, une salle de prod pour troupes de théâtre mais qui accueille quelques groupes à l’occasion. Le temps d’un week-end, début septembre, la ville se transforme cependant en juke-box à ciel ouvert. Depuis sa création, en 2003, le Festival de Musique Emergente est passé de 4 à 13 scènes. De 22 à 63 groupes. Et, encore plus révélateur, de 60 000 à 700 000 dollars de budget.  » Nous avons dès le départ développé des partenariats. Aussi bien sur le plan artistique et touristique que sur celui de l’exportation, se souvient Sandy Boutin, président du FME. Vingt à 25 % de nos ressources reposent sur la vente de bières et de tickets. Le reste se partage à du 50-50 entre le privé et les aides publiques. Que ce soit au niveau municipal, provincial ou national.  »

A 700 bornes de Montréal…

Déjà récompensé d’un Félix, son deuxième consécutif, et élu « Festival-Evénement de l’année  » lors du Salon de la musique indépendante de Montréal (SMIM), le FME a récemment reçu le prix Ann-Boudreau-Paiement lors d’un gala de la chambre de commerce et d’industrie de Rouyn-Noranda. Une distinction qui récompense les organisateurs d’événements générant des retombées économiques et/ou une visibilité nationale.

Car si le gouvernement consent des efforts, le FME a son petit cahier des charges. Ses objectifs? Etre un moteur économique régional, contribuer au rayonnement de l’Abitibi-Témiscamingue, favoriser les échanges entre artistes et artisans des musiques émergentes, participer à l’amélioration de la vie collective. Puis aussi maintenir, dynamiser et attirer de façon originale les jeunes dans la région…

 » Si j’étais né à Montréal, je n’aurais sans doute jamais créé mon festival. Mais Rouyn, j’y ai grandi, étudié, travaillé… Et faut bien dire qu’il ne s’y est longtemps pas passé grand-chose en termes d’événementiel. Je ne voyais pas assez dans la région les artistes que je voulais entendre. Nous nous sommes donc mis en tête d’organiser un festival et de l’implanter à Rouyn. Il y a une véritable demande culturelle et ici, quand tu veux voir Radiohead, tu dois te taper 1400 kilomètres aller-retour.  »

Manager du groupe Karkwa, qu’il s’est enfin décidé à programmer au FME en 2010, Sandy Boutin n’est jamais plus heureux que quand on découvre des artistes chez lui. La vocation de son événement reste de rendre accessible au plus grand nombre les projets provenant de la scène émergente québécoise.

 » Il n’y a plus grand monde pour défendre la musique actuelle en Québec (sic) . Notre but avoué est de faire rayonner nos artistes. De leur servir de passerelle vers l’étranger. Une percée en France, ça change la vie d’un groupe belge, suisse ou québécois. »

Combat linguistique

Radio de festival, tremplins pour jeunes artistes… Sandy Boutin s’est beaucoup inspiré de ce qu’il a vu en Europe. A une vraie différence près. Le FME, à côté d’un Melvins ou d’une Martha Wainwright, défend ardemment la langue de Noir Désir. Oui. Comme des Francofolies. Sauf qu’au Festival de musique émergente, on fait plus dans l’indé que dans la « variète ». Dans le méconnu que dans le grand public.

On ne s’est peut-être pas pris de grosse claque canadienne (on connaissait déjà Pierre Lapointe, ici tout seul au piano) cette année au FME. Mais le constat est saisissant. Au Québec, on n’a pas peur de chanter en français. Qu’on fasse dans le rock, la pop ou le folk. Qu’on s’appelle La Patère rose, La Descente du coude ou Chantal Archambault…

 » Je reçois des subsides pour faire jouer des artistes francophones. Mais ce n’est pas un défi pour moi de les trouver. Ils sont nombreux. Et encore moins une contrainte. Si je programme ces groupes, c’est parce que j’y crois. Je ne fais pas de concession artistique. Je veux juste que le FME soit le reflet de la scène musicale québécoise.  »

Justement, question ventes d’albums, la part des produits du cru est passée de 46 % en 2008 à 52 % en 2009.  » Nous sommes entourés par 300 millions d’anglophones. Cela fait 40 ans que nos parents sont dans des luttes linguistiques. Nous récoltons quelque part les fruits de leur combat. Les jeunes ne revendiquent plus autant cette francophilie mais elle est ancrée en eux. Le Québec a son marché, son propre star-system.  »

Une scène qui, selon Sandy Boutin, peut très bien s’exporter ailleurs qu’en France, en Wallonie et en Suisse. Karkwa est récemment devenu le premier lauréat francophone du prix Polaris. L’équivalent canadien du Mercury Prize… Depuis, il a enchaîné les télés et les radios canadiennes anglophones. Signé avec une très grosse agence de tournée aux Etats-Unis.

 » Karkwa a joué au Great Escape de Brighton, au CMJ new-yorkais ou encore à South by southwest… Mais nous avons participé à des festivals en Europe francophone où nous étions les seuls à chanter en français. Ce n’est peut-être pas encore super rentable mais Malajube s’est lui aussi ménagé une ouverture aux States. Je pense que nous ne devons pas sous-estimer le potentiel de nos groupes francophiles en pays anglophones. Vous pensez que les Américains comprennent ce que raconte Sigur Ros?  »

TEXTE JULIEN BROQUET, AU CANADA

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content