State of Play, de Kevin Macdonald, vient opportunément le rappeler: le journaliste demeure l’une des valeurs sûres du grand écran. Bloc-notes…

Russel Crowe menant l’enquête pour le Washington Globe dans l’efficace State of Play de Kevin Macdonald, et voilà que resurgit la figure du journaliste d’investigation sans peur et guère de reproches; celle que contribua sans nul doute à populariser le Septième art à travers diverses £uvres emblématiques, dont l’une des plus fameuses demeure, naturellement, All the President’s Men (Les hommes du président) d’Alan J. Pakula. Art du XXe siècle, le cinéma ne pouvait – au même titre que la bande dessinée classique, d’ailleurs -, que se découvrir des atomes crochus avec une profession éminemment représentative de l’époque. De façon hautement symbolique, le film le plus célébré de l’histoire du cinéma, Citizen Kane, ne porte-t-il pas sur un magnat de la presse?

Welles n’est pas le seul, en ce début des années 40, à s’immerger dans le monde des médias: Hawks ( His Girl Friday), mais encore Capra ( Meet John Doe) comptent parmi les réalisateurs illustres mettant alors en scène des journalistes. L’homme de presse concentre, il est vrai, sur sa seule personne, des qualités nombreuses, fantasmées ou non, qui en font l’allié objectif des scénaristes. Tantôt témoin privilégié, tantôt substitut avisé du pouvoir menant l’enquête, le journaliste au cinéma fait corps avec son temps.

La mémorable composition de Jack Nicholson dans l’exceptionnel Profession: reporter de Michelangelo Antonioni, apparaît à ce titre comme quintessentielle: correspondant de guerre adoptant l’identité d’un mort pour mener ensuite une vie d’emprunt (vouée, incidemment, à l’échec), David Locke cristallise les angoisses existentielles de son époque, et au-delà. Une façon, aussi, de transcender une condition non dénuée à l’occasion de noblesse – la preuve par Good Night, and Good Luck, que signera Clooney -, voire de hauteur surréaliste – Terry Gilliam et son incroyable épopée gonzo, Fear and Loathing in Las Vegas.

Imprimer la légende?

Sans toujours évoluer dans d’aussi vertigineux horizons, le journaliste s’érige, en tout état de cause, comme le relais du spectateur au c£ur de l’action – the right man in the right place, suivant l’expression consacrée -, si bien d’ailleurs que son univers deviendra la substance même de nombreux films. Au point, aussi, que la figure journalistique incarne pratiquement un courant autonome au cinéma. Abondamment à l’£uvre dans la production hollywoodienne de l’époque classique ( Ace in the Hole de Wilder, I Want to Live! de Wise, The Tarnished Angels de Sirk, Shock Corridor de Fuller,…), le journaliste se multiplie dans le même temps sous les latitudes les plus diverses – on le retrouve aussi bien chez Kurosawa ( Scandale) que chez Fellini ( La dolce vita). A travers lui, c’est un rapport au monde qui s’exprime, tantôt vertueux – il fait office de passeur ( The Killing Fields de Joffé, Salvador de Stone,…), ou de redresseur de torts ( Mille milliards de dollars de Verneuil, Frost/Nixon de Howard,…) -, tantôt vicié. De Wilder à Kurosawa, de Mackendrick ( Sweet Smell of Success) à Belvaux, Bonzel et Poelvoorde ( C’est arrivé près de chez vous), le cinéma ne se fait faute, en effet, d’épingler les dérives d’une profession au c£ur du glissement du monde vers la société du spectacle. Du reste, la question de la probité journalistique était-elle joliment posée par John Ford dans le mémorable The Man Who Shot Liberty Valance, avec ce conseil resté fameux: « si la légende est plus belle que les faits, imprime la légende » – vérité de cinéma, à défaut d’en être une cardinale.

Signe des temps, le journaliste se voit désormais régulièrement tailler des croupières, s’effaçant alors au profit de nouvelles figures emblématiques – l’avocat, parmi d’autres. Encore que les rouletabille, chroniqueurs et autres grands reporters de l’écran affichent mieux que de beaux restes: State of Play aujourd’hui, Millenium hier, The Devil Wears Prada, Lions for Lambs et autre Insider il n’y a pas si longtemps, les exemples ne manquent pas pour le souligner…

Texte Jean-François Pluijgers

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