Avec Hadewijch, le cinéaste français plonge dans la réalité brûlante d’une foi radicale, poussée jusqu’à la violence terroriste.

Comment une jeune Catholique pleine de ferveur religieuse met son bras au service d’un Islam radical, Bruno Dumont l’expose dans un film aussi superbe qu’audacieux, utilement dérangeant et qui nous invite à voir où peuvent mener les chemins de l’amour absolu…

Votre premier long métrage, La Vie de Jésus, montrait une France profonde que personne ne voulait voir, dont les médias ne parlaient pas, et qui allait pourtant porter Le Pen au second tour d’une élection présidentielle. Avec Hadewijch, ne nous montrez-vous pas à nouveau une réalité que la plupart préfèrent ne pas voir en face?

C’est clair. Voilà une chose qu’on n’a pas envie de voir, qui est on ne peut plus actuelle et qui dérange les conservateurs, les timorés, les moins audacieux, les moins téméraires. Le cinéma est une représentation du monde, du réel. Il est assez normal qu’il soit tout à la fois admiré et refusé.

Comment est né ce film?

Ma façon de travailler est presque toujours la même. Un film vient toujours du film précédent. Je travaille déjà sur le prochain et je sais qu’il réparera Hadewijch, qui lui-même réparait Flandres. Chaque film répare le précédent, et il l’approfondit, aussi, sur la voie du film absolu qu’on ne réalisera d’ailleurs jamais… Dans Flandres, je me suis intéressé au personnage féminin, ce qui était nouveau dans mon cinéma. Ce personnage de Bar- be a constitué Hadewijch, il est le squelette sur lequel elle s’est construite, à la suite aussi de ma lecture des textes de Hadewijch d’Anvers (1). Cela suffit pour entamer des castings, faire des rencontres. La rencontre de Julie Sokolowski a beaucoup nourri le personnage, Barbe a disparu pour laisser la place à Céline. Ce sont des eaux qui se brassent et qui se mêlent, un entremêlement d’où émerge un film. Avec pour sujet l’amour, qui était présent dès le départ. L’amour éperdu d’aimer, tellement impressionnant chez Hadewijch d’Anvers!

Qu’attendez-vous d’une interprète comme celle de votre nouveau film?

Comme à chaque fois, qu’elle détruise toutes mes idées reçues pour me faire rentrer finalement et totalement dans la personne choisie. Si je croyais vraiment à ce que j’écris, je prendrais des acteurs professionnels. J’aurais un texte, un dialogue, et ils les joueraient. Oui mais voilà: je n’y crois pas une seconde, je pressens très bien la fragilité d’un scénario, pur produit de l’esprit qui exige d’être incarné. Mais le moment de l’incarnation est un moment d’abandon… J’ai rencontré des comédiennes pour Hadewijch. J’ai aussi rencontré des religieuses, ce qui m’a conforté sur l’hystérie de la croyance. Mais elles étaient pleines, et moi ce que je veux c’est remplir. Julie Sokolowski était vide, vide de Dieu en l’occurrence, et elle n’avait aucune envie de devenir comédienne. Du coup, elle devenait intéressante… Avec elle, en prenant ce risque avec elle, j’ai pu dire quelque chose que je n’avais jamais dit auparavant. Non croyante, elle est montée dans Hadewijch par l’amour humain, en puisant dans sa vie sentimentale plutôt houleuse. Comme moi je ne crois pas à l’amour divin, c’était parfait. Elle a apporté cette humanité que je cherche. Une comédienne professionnelle aurait été pur esprit, une amoureuse de Dieu… Julie, je l’ai prise comme elle est, avec sa petite voix fluette, sa façon de jouer un peu maladroite. J’aime cet ordinaire qui véhicule, finalement, le personnage.

La plupart des films indiquent clairement au spectateur où est le bien et où est le mal. Vous préférez tester profondément le rapport que chacun d’entre nous a avec ces 2 notions…

Ces films dont vous parlez s’inscrivent dans une métaphysique occidentale, celle où Aristote conclut qu’une chose est ou n’est pas. C’est le jour ou la nuit, le bien ou le mal. La métaphysique dans laquelle j’inscris mon cinéma fait se confondre le bien et le mal. Dès La Vie de Jésus, vous aviez un personnage qui est à la fois un héros et mauvais. Alors soit le spectateur a envie de cette expérience peu commune, soit il la refuse. Mes films posent des problèmes moraux, sur la perception du bien et du mal, et la façon dont ce bien et ce mal traversent leur propre narration. J’aime venir chatouiller les principes sur lesquels notre pensée repose, relativement à l’amour, à la guerre, etc. C’est là que je creuse, et je comprends que cela crée une grande perplexité chez certains…

(1) Poétesse et mystique du XIIIe siècle, qui écrivit ses Visions, livre paru chez Ad Solem. Le Seuil a publié d’autres écrits de sa plume.

Rencontre Louis Danvers

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