Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

DEPUIS LES ANNÉES 60, RICHARD JACKSON SIGNE UNE oeUVRE EN PRISE AVEC LE PASSÉ ET LE FUTUR DE LA PEINTURE. CE COMBAT D’UNE VIE MÉRITAIT BIEN UNE RÉTROSPECTIVE.

Ain’t Painting a Pain

RICHARD JACKSON, S.M.A.K., CITADELPARK, À 9000 GAND. DU 01/03 AU 01/06.

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Il y a du Gyro Gearloose -du « Géo Trouvetou » pour ceux qui ont grandi devant les versions françaises- chez Richard Jackson (Sacramento, 1939). Peu de références surgissent avec autant d’évidence devant les dispositifs déjantés de ce peintre qui a vécu intensément la décennie cruciale, entre 1970 et 1980, de l’Histoire de l’art du siècle passé. Ce, même si son oeuvre se prolonge bien au-delà de cette période de transformation intense. Pour s’en convaincre, il faut avoir vu Painting with Two Balls, installation aussi géniale que tordue née dans les méandres d’un esprit aussi radical que libre. Imaginez une voiture sur le flanc -une Ford Pinto pour les connaisseurs- pourvue de deux globes -les fameuses « Two Balls »- fixés sur la partie haute de la voiture et directement reliée aux jantes -les pneus ayant été démontés. Dans l’habitacle, Richard Jackson -aka Professeur Maboul- himself, en position plutôt acrobatique. Contact, moteur et… Jackson, en salopette grise et casquette verte, appuie sur le champignon. Les deux boules se mettent à tourner. Devant elles, tenue à distance par un bras métallique et fixée par une courroie, une toile tournant sur elle-même. Etrange ballet que celui de ces trois objets mal identifiés partis en vrille. Après quelques tours de chauffe, deux assistants en combinaison étanche rejoignent l’étrange mise en place. Grâce à une passerelle, ils surplombent la voiture. De cette hauteur, ils versent le contenu coloré -jaune, bleu, rouge…- de plusieurs pots de peinture. Dès que le liquide s’écoule et heurte les boules folles, il est projeté par les lois centrifuges, maculant la toile, bien sûr, mais également l’arrière de son châssis, la voiture, le sol, les murs. Le résultat? Un dripping, à la fois mécanique et humain, dont l’ampleur et l’ambition ont de quoi faire se retourner Pollock dans sa tombe. Précisons que cet amont de l’oeuvre en restera à jamais les coulisses secrètes, le visiteur ne pouvant découvrir que l’après de cette incroyable performance.

C’est avec beaucoup d’à-propos que le S.M.A.K. revient sur l’oeuvre de Jackson à la faveur d’une rétrospective. On peut mesurer tout ce que celle-ci comporte de rétention et de propulsion. Le travail de l’Américain ne se comprend réellement que si l’on prend en compte ce qui l’a précédé, à savoir des peintres tels que Jackson Pollock, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, voire Edward Kienholz.

Sandwich temporel

Comme ces artistes, Jackson entend « repousser les limites du médium que représente la peinture« . Son idée est d’assurer un futur à la peinture, sans pour autant faire table rase de son passé. Ainsi d’un projet aussi percutant que La Grand Jatte (After Georges Seurat) qui s’affiche comme une recréation du chef-d’oeuvre pointilliste à l’aide de petites granules de couleur projetées sur la toile avec un fusil à plomb. Au travail fou de Seurat -la toile fait 2 mètres sur 3-, Jackson répond par une démesure plus grande encore: commencée en 1992 et après 90 000 tirs, seuls 10 % de la toile seront réalisés -laquelle restera à jamais inachevée. On pointera également le fait que la plupart des dispositifs de Jackson sont réalisés sur le lieu d’exposition et invariablement détruits. Un élément qui contribue à rendre cette rétrospective encore plus précieuse.

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MICHEL VERLINDEN

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