PLUS HUMANISTES QUE JAMAIS, LES VÉTÉRANS ITALIENS SIGNENT UN FORMIDABLE CESARE DEVE MORIRE, OURS D’OR AU FESTIVAL DE BERLIN.

L’Ours d’or du Festival de Berlin s’est ajouté, en février dernier, à la Palme d’or remportée à Cannes pour Padre Padrone voici… 35 ans. Qui pouvait attendre, ou même espérer, pareil retour en forme créative de la part des frères octogénaires, peu convaincants dans leurs dernières mises en scène? Il aura fallu la collision de Shakespeare et d’une prison romaine pour provoquer le déclic, et engendrer une expérience de cinéma intense, complexe, bouleversante de beauté paradoxale et d’humanité fervente. Paolo (81 ans le 8 novembre prochain) et Vittorio (83 depuis le 20 septembre) nous expliquent la genèse et le sens d’un Cesare deve morire leur faisant retrouver le premier plan qu’ils occupaient dans les années 70 et 80.

 » S’il n’y a rien de neuf, rien de surprenant, rien à défricher, pourquoi faire un film?« , s’interroge avec un haussement d’épaules l’aîné des deux frères.  » Le déclic est venu cette fois d’un coup de téléphone passé par un ami, qui nous invitait à venir voir une représentation théâtrale qui nous ferait monter les larmes aux yeux, une représentation se déroulant… en prison« , poursuit Vittorio. Les Taviani n’étaient pas trop enthousiastes, au départ,  » non pas que d’entrer dans une prison nous faisait peur, mais parce que nous craignions de nous retrouver face à un groupe d’amateurs sympathiques, sans plus« . La surprise fut d’autant plus grande quand  » une émotion inédite, puissante » saisit les réalisateurs devant le spectacle donné par les prisonniers.  » Cela dépassait tout ce que nous pouvions en attendre, se souvient Vittorio, surtout quand un détenu a récité le chant de Paolo et Francesca dans L’Enfer de Dante, en usant de son dialecte napolitain et en ajoutant des phrases personnelles sur les rapports entre le texte de Dante et l’enfer de la prison, le manque d’amour, la frustration d’être loin de sa compagne, de ne pas savoir si elle l’attendra… »

Film Viagra

 » Nous fondons notre travail et notre pensée sur la conviction que chaque être humain a en lui le pouvoir de réaliser quelque chose sous l’effet de sa libre volonté, tout en étant sensibles aux situations qui réduisent et combattent cette liberté« , déclare Paolo.  » Nous avions été émus par ces hommes que l’art faisait grandir au point de devenir admirables, en dépit des actes parfois terribles qu’ils avaient commis. Des hommes qui nous bouleversaient, qui se transcendaient mais qui, à l’heure où nous allions rentrer chez nous, retourneraient en cellule pour longtemps encore… » Et l’idée naquit de faire un film au c£ur de la prison, autour de Jules César de Shakespeare,  » une pièce italienne, parlant de pouvoir et de trahison, de meurtre et de conspiration, tous des thèmes auxquels pouvaient se référer des hommes appartenant pour beaucoup à la mafia, à la camorra ou à la ‘ndrangheta…  »

Le détenu qui joue Cassius a cette phrase, à la fin du film, disant que depuis qu’il a connu l’art, sa cellule est vraiment devenue une prison.  » Cette déclaration, que nous n’avons pas écrite, résume toute la contradiction qui est celle de l’art, commente Vittorio, car l’art a ce pouvoir de vous éveiller à la conscience de choses nouvelles… que la vie réelle ne vous permet pas forcément de poursuivre ensuite concrètement. En approchant l’art d’aussi près, les interprètes de notre film ont surtout pris conscience de ce qu’ils avaient perdu. » Un constat cruel, amer, venant au terme d’une expérience qui se déroula globalement  » dans la joie, l’enthousiasme, le plaisir et une forme d’amitié… contre laquelle les gardiens nous ont mis en garde, en nous demandant de réserver notre compassion aux victimes que ces hommes avaient faites… Nos adieux n’en furent pas moins touchants. »

Les Taviani n’avaient jamais vécu de moments aussi intenses avec leurs interprètes professionnels. Et ne s’y attendaient pas.  » Chaque film que nous faisons est une aventure, une aventure excitante, différente, nous permettant d’aller à la découverte de choses nouvelles, mystérieuses, périlleuses« , explique Vittorio.  » L’âge? On n’y pense pas en ces moments de curiosité, de jubilation. On ne le ressent même pas. Un film comme celui-ci agit sur nous comme le ferait le Viagra!« , vient conclure son frère. l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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