« Une fois que j’ai commencé à étudier la Bible, j’ai réalisé ne plus pouvoir y croire »
Histoire d’une passion interdite, Lady Macbeth, le premier long métrage de William Oldroyd trace le portrait d’une jeune femme déterminée à s’arracher à sa condition dans l’Angleterre victorienne. Un film d’une modernité radicale.
Variety, la bible des professionnels du cinéma, l’a classé, en janvier dernier, parmi ses dix réalisateurs à suivre. C’est peu dire en effet qu’avec Lady Macbeth, son premier long métrage, le réalisateur britannique William Oldroyd a frappé les esprits, réussissant, avec cette transposition dans l’Angleterre victorienne du roman Lady Macbeth du district de Mtsensk, de l’écrivain russe Nikolaï Leskov, un film d’époque d’une aussi rare que radicale modernité.
À 37 ans, le cinéaste londonien présente un curriculum vitae bien rempli, qui l’a vu s’épanouir au théâtre -il a notamment monté Les Revenants d’Ibsen, au Young Vic, mais aussi Kean, de Sartre, à Tokyo ou En attendant Godot, de Beckett, à Munich -après avoir un temps, à l’instar de Martin Scorsese avant lui, envisagé la prêtrise. « J’ai grandi dans un environnement catholique, raconte-t-il, installé dans la cafétéria des Doelen, centre névralgique du festival de Rotterdam où il poursuit une « tournée » commencée du côté de Toronto puis San Sebastian. Après mes humanités artistiques, j’ai entamé des études de théologie, avec l’intention de devenir prêtre. J’ai toutefois rapidement changé d’avis, au point de perdre la foi et de devenir athée: une fois que j’ai commencé à étudier la Bible de façon approfondie, j’ai réalisé ne plus pouvoir vraiment y croire. Jusqu’alors, je m’étais borné à la lire, et à tenir pour vrai ce qui y était dit, sans me demander pourquoi… » « Révélation » qui le conduira sur les bancs de la Royal Academy of Dramatic Art, où Oldroyd fait ses classes, avant d’entamer sa fructueuse carrière théâtrale, pour bifurquer ensuite vers le cinéma, dans un élan qu’il qualifie de naturel: « Déjà pendant mes études secondaires, j’avais travaillé avec une caméra, et monté des films. Quand j’ai tourné Christ’s Dog et Best, les courts métrages qui ont précédé Lady Macbeth, j’ai eu l’impression de revenir à mon élément, fort en outre de l’expérience avec les acteurs, les auteurs, etc., acquise sur les planches… »
Une attitude révolutionnaire
Lady Macbeth, le réalisateur en a pris connaissance par l’intermédiaire d’Alice Birch, scénariste venue comme lui du théâtre. Et de souligner combien il a été d’emblée impressionné par le personnage central, Katherine, jeune femme s’inscrivant en faux contre les conventions en cours dans l’Angleterre de la seconde moitié du XIXe siècle. « J’ai beaucoup travaillé sur des oeuvres littéraires de cette période. Un élément rafraîchissant tient au fait que Katherine n’agit pas comme d’autres femmes dans sa situation: elle ne fuit pas, pas plus qu’elle ne souffre en silence, ni ne se suicide, mais elle choisit de se défendre. Cette attitude m’a semblé tout à fait révolutionnaire. » A fortiori dès lors que, cédant bientôt à une passion interdite, celle qui semblait résignée à accepter son sort se muera en femme littéralement fatale, prête à tout pour se soustraire à sa condition.
Si Leskov a écrit son roman en 1865, époque où se déroule également le film, l’histoire de Katherine a, par certains aspects, une résonance contemporaine. Et le réalisateur d’enchaîner: « Je me trouvais la semaine dernière en Amérique, où l’on m’a demandé quels avaient été les progrès accomplis depuis la période du roman. Cette histoire se passe à l’époque victorienne, quand les femmes étaient légalement la possession de leur mari, et n’avaient pas accès à la propriété. Ces choses ont heureusement changé, mais d’autres incitent à réfléchir: à un niveau, ce livre parle de l’humiliation d’une jeune femme par le patriarcat, et ces deux hommes qui en sont propriétaires. Mais il suffisait d’allumer la télévision pendant la campagne des présidentielles américaines pour entendre celui qui a été élu à l’un des postes les plus puissants du monde parler d’humiliations qu’il a fait subir à des femmes sans même juger bon de s’en excuser. C’est là qu’on peut se demander s’il y a eu le moindre progrès. Déjà s’il s’agissait d’un individu quelconque, mais dans le chef du Président (…). Malheureusement, ce type de relations existe encore, des femmes sont obligées de se marier contre leur gré, sans doute parce qu’elles n’ont pas l’impression d’avoir une voix et ne sentent pas autorisées à s’y opposer. »
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Décorseter le film d’époque
De fait, la période victorienne n’a pas le monopole des inégalités et de la subordination imposées aux femmes par la société. Et s’il n’y a pas lieu d’y voir un pamphlet politique, Lady Macbeth se prête assurément à une lecture féministe intemporelle. Moderne par les thèmes qu’il aborde, le film l’est encore par sa mise en scène, s’employant judicieusement à décorseter l’esthétique des drames historiques. Une affaire, notamment, de grammaire cinématographique: « L’idée était que la caméra piège, en quelque sorte, Katherine, pour la contenir et l’encercler dans le cadre. Nous voulions aussi l’objectiver en la maintenant à distance, et en la plaçant comme on le ferait d’un objet. Ce n’est que quand elle commence à prendre une certaine liberté que la caméra va bouger avec elle, et que l’on se détourne de cette solennité statique. » Un autre élément marquant tient dans des décors qui déclinent l’époque dans une troublante austérité. « Si elle a des moyens, la famille à qui Katherine a été vendue ne les dépense pas en biens matériels. L’environnement est donc aussi simple que minimaliste, ce qui coïncidait avec nos références picturales, et notamment les toiles de l’artiste danois William Hammershoi, dont de nombreuses peintures représentent de grandes pièces dénudées, éclairées par cette magnifique lumière froide du nord de l’Europe, où se trouvent une ou deux femmes, généralement vêtues de noir, dont le visage est éloigné du spectateur. Elles s’en trouvent pour ainsi dire privées de personnalité, ce qui m’a semblé approprié pour Katherine, à qui les hommes font subir le même sort dans le film. » Cohérent, le résultat est aussi convaincant, l’environnement semblant déteindre sur les sentiments d’une protagoniste -exceptionnelle Florence Pugh, combinant l’apparence de l’innocence au feu intérieur- qui, longtemps recluse, libérera sa part d’irréductible sauvagerie en partage avec une nature tourmentée. On est, après tout, dans l’Angleterre des soeurs Brontë ou de Thomas Hardy, des Hauts de Hurlevent comme de Loin de la foule déchaînée.
En l’occurrence, l’évidente économie de moyens -le budget était de 500.000 euros environ, pour 24 jours de tournage à peine- a servi au mieux les intérêts du film. « Avec si peu de temps, nous avons dû nous en tenir à un nombre limité de plans et de prises, poursuit Oldroyd. Et nous avons également dû nous montrer plus créatifs, et ne garder que ce qui était indispensable pour raconter cette histoire. Nous ne pouvions pas nous permettre des myriades de figurants, de nombreux chevaux et chariots, ni de larges plans aériens, toutes ces choses qui sont généralement associées au film d’époque en Grande-Bretagne. Mais nous n’en avions pas besoin, pour une histoire traitant avant tout de relations humaines, qu’il s’agisse d’un triangle amoureux ou des rapports bizarres entre cinq ou six personnes. Nous étions déterminés à faire de notre budget limité une vertu et, sincèrement, si quelqu’un nous avait proposé cinq millions pour tourner le film, je ne vois pas ce que nous aurions fait différemment. Les restrictions ont même été utiles, parce qu’elles nous ont forcés à nous concentrer. » Mettre un film en scène, un acte de foi? « Il y a de cela, certainement, conclut le réalisateur. Même si en choisissant de tourner en digital et dans un lieu unique, et en pouvant donc systématiquement revenir sur ce que nous étions en train de faire, nous nous sommes donné un maximum de chances de ne pas nous en remettre uniquement à la foi… Pour un premier film, je ne pouvais me contenter de croire que cela allait marcher, il me fallait aussi savoir. »
Un regard viscéral sur l’Angleterre victorienne
Adapté d’un roman russe écrit en 1865 par Nikolaï Leskov, Lady Macbeth ressort pourtant à la lignée des films d’époque situés dans… l’Angleterre victorienne; presque un (sous-)genre en soi, où se sont illustrés des cinéastes majeurs comme les Britanniques David Lean (Oliver Twist) ou Mike Leigh (Topsy-Turvy), mais aussi les Américains David Lynch (The Elephant Man) ou Tim Burton (Sweeney Todd), parmi beaucoup d’autres. Cette filiation ne constitue pas vraiment une surprise, si l’on considère que William Oldroyd, le réalisateur du film, confesse une affection toute particulière pour l’oeuvre de Thomas Hardy ou des soeurs Brontë, auteurs emblématiques de la période au même titre que Charles Dickens. Mais s’il s’inscrit là dans une évidente tradition, c’est aussi pour mieux se la réapproprier, au point que l’on serait tenté de rapprocher son Lady Macbeth de l’extraordinaire Wuthering Heights réalisé en 2011 par Andrea Arnold.
« Andrea et moi avons été guidés par le même type d’ambition, à savoir accommoder ces histoires à notre manière, observe William Oldroyd. Quand j’ai découvert Wuthering Heights, j’ai eu l’impression de voir un drame en costumes tourné différemment, du travail de la caméra à la distribution, avec le sentiment de nouveauté allant de pair. J’ai grandi avec des films d’époque; celui du dimanche soir était pour ainsi dire un rituel. Les Anglais ont l’impression d’avoir une expertise en la matière, mais pour ma part, j’apprécie surtout, par exemple, La Reine Margot, et le travail qu’y a accompli Patrice Chéreau tant au niveau de la mise en scène que du jeu des acteurs. C’était par nature plus baroque, mais aussi tellement excitant. Et j’ai voulu conférer une même énergie à mon travail, en lieu et place de cette approche distante et stérile à laquelle on a trop souvent droit. Je pense qu’Andrea a procédé de la même façon: nous avons travaillé avec l’idée d’obtenir quelque chose de viscéral… »
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