Prendre de la hauteur

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L’auteur hispanophone Max Aub fait d’un volatile l’observateur privilégié des humains au camp de concentration du Vernet, où lui-même fut enfermé.

Dramaturge, essayiste et critique littéraire, Max Aub était voué à devenir singulier et cosmopolite dès le plus jeune âge: né d’un père allemand et d’une mère française, exilé en Espagne dès 1914, c’est dans la langue de sa contrée d’accueil qu’il s’illustrera. Engagé à gauche, antifasciste, il noue des liens amicaux avec Malraux. Attaché culturel et sous-commissaire du pavillon espagnol de l’Exposition universelle à Paris de 1936 à 1937, c’est lui qui gère la commande de Guernica à Picasso. En mars 1940, une dénonciation anonyme l’accuse d’être communiste et il finit déporté au camp du Vernet (Ariège).

Initialement conçu pour les républicains espagnols en fuite suite à leur défaite, on y enfermera, dès la déclaration de la Seconde Guerre, les étrangers « indésirables » dont des communistes allemands et autrichiens, des Juifs, des anarchistes espagnols et des intellectuels antifascistes. Comme le mentionne son traducteur Guillaume Contré en postface, loin d’éteindre son acuité, l’incarcération d’Aub lui confère un espace-temps pour affûter sa pensée. S’il consacrera une fois exilé au Mexique (où toute son oeuvre se déploiera) l’essentiel de son énergie au grand cycle réaliste de six volumes Le Labyrinthe magique (chef-d’oeuvre sur la guerre civile espagnole), c’est ici sa fantaisie féroce qui opère, comme elle le sera, plus détachée de tout contexte personnel, dans Crimes exemplaires (1956).

Prendre de la hauteur

Manuscrit corbeau est de ces livres qui nous font prendre de la hauteur. Son narrateur est Jacobo, un volatile à l’ironie drolatique qui entend bien confier point par point (des guerres au blasphème en passant par la logique) à ses semblables tout ce qu’il sait des humains. Ses sujets d’observation, ce sont les pauvres hères et les surveillants qu’il côtoie au camp, jamais en mal de pratiques qu’il juge inconcevables. Car n’est-il pas ubuesque, le cas de ces deux hommes,  » le premier interné pour ne pas s’être engagé dans l’armée polonaise; le deuxième interné pour s’être engagé dans l’armée polonaise« ? Loin de trouver l’homme supérieur à la gent aviaire, Jacobo le voit comme un élève  » au cerveau à l’état embryonnaire » qui jamais n’a abouti à un résultat aussi satisfaisant que les oiseaux. Car comment expliquer qu’il ne soit pas muni de bec? Ou qu’il ne sache vivre sans papiers, assujetti à ses documents d’identité comme aux billets de banque, pour lesquels il serait prêt à tuer? Il est décidément urgent de relire Max Aub…

Manuscrit corbeau

De Max Aub, éditions Héros-Limite, nouvelle traduction de l’espagnol par Guillaume Contré, 128 pages.

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