Portrait d’un esprit libre

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

EMILY DICKINSON SEMBLE EXTRÊMEMENT PROCHE, DANS UN FILM SOLIDAIRE, ADMIRABLE, CAPTANT L’ESSENTIEL DE LA VIE COMME DE LA CRÉATION.

A Quiet Passion

DE TERENCE DAVIES. AVEC CYNTHIA NIXON, JENNIFER EHLE, KEITH CARRADINE. 2 H 05. SORTIE: 02/11.

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Comment filmer la création? Comment exprimer ce qui (é)meut l’artiste sur le chemin qui mène à son oeuvre? Tant de films biographiques n’ont pas pu ou su donner de réponse satisfaisante à ces interrogations. Celle qu’apporte Terence Davies avec A Quiet Passion n’est pas seulement satisfaisante. Elle est sublime, électrisante, bouleversante. Le cinéaste anglais nous emmène dans l’intimité d’Emily Dickinson, immense poétesse américaine du XIXe siècle, qui ne vit publier de son vivant qu’une dizaine de ses poèmes, mais dont la postérité littéraire s’est imposée d’une éblouissante façon. Davies a trouvé en cette femme sensible et rebelle, attachée à sa famille et traversant nombre d’épreuves, de deuils, comme une soeur aînée, en art et bien plus. Il éclaire magnifiquement (lire son entretien en page 34) ce qui l’a mené vers elle et instillé en lui le désir de lui consacrer un film. A Quiet Passion parle beaucoup d’Emily, mais aussi un peu (et même plus) de lui, le réalisateur au lyrisme contenu qui nous fit tellement vibrer de Distant Voices, Still Lives (1988) à Sunset Song (2015), après s’être révélé dans une trilogie autobiographique poignante(1). A bientôt 71 ans, le natif de Liverpool signe un de ses plus beaux films, en s’identifiant à une artiste dont il comprend d’évidence plus d’une expérience, plus d’une émotion.

Le deuil en blanc

Au début du récit, Emily est une adolescente (jouée par Emma Bell), résolue à dire sa différence dans une famille du Massachusetts dirigée par un père (Keith Carradine) plein d’autorité mais tolérant, que la libre pensée professée par sa fille réjouit discrètement face au climat de religiosité dominante et de bienséance sociale qui brident tous et -surtout- toutes en ces années 1840. Le cadre n’aura guère changé quand nous retrouverons l’héroïne devenue adulte (avec les traits de Cynthia Nixon), même s’il se dépeuplera au rythme de deuils cruels. Emily portera du blanc là où les conventions exigent le noir. Elle discutera les dogmes, boudera l’Église, écrira une oeuvre qui ne saurait être abondamment publiée. En même temps, elle renoncera progressivement aux appels du monde extérieur, devenant petit à petit une recluse dans un foyer familial qui retient tous ses soins… Autour d’une interprète épatante de justesse, Terence Davies déploie une réalisation exemplaire de fluide évidence, recourant à ces mouvements de caméra (à 360° parfois) qui portent le sentiment autant que le regard. L’humour n’est pas absent d’un spectacle vivifiant, malgré la mort qui rode. C’est qu’il y a l’art, la création, saisis dans leur dimension vitale par un cinéaste passionnant, passionné. D’artiste à artiste, un grand moment de bonheur et de vérité.

(1) CHILDREN (1976), MADONNA AND CHILD (1980) ET DEATH AND TRANSFIGURATION (1983), RÉUNIS EN 1984 DANS THE TERENCE DAVIES TRILOGY.

LOUIS DANVERS

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