Après les thrillers ésotériques, après les magiciens en culotte courte, après les vampires aux abdos saillants, à qui le tour d’enflammer le c£ur des lecteurs/trices en mal de sensations fortes? Réponse: au porno soft. Relégué dans l’intimité des alcôves, dans les marges plus ou moins éclairées de la morale et dans les replis sans fond du Net, le sexe n’avait droit aux honneurs de l’industrie du divertissement qu’enrobé de glamour et de psychanalyse au goût d’aspartame ( Sex and the city) ou fourré à la coolitude ensoleillée ( Californication). Changement de cap à la faveur de la publication de la trilogie coquine Fifty Shades of Grey, qui a provoqué un brutal réchauffement climatique en Angleterre et aux Etats-Unis avec plus de 30 millions d’exemplaires vendus en quelques semaines. Comme pour Harry Potter, c’est à une inconnue que l’on doit ce hold-up littéraire. Erika Leonard, alias E.L. James, n’est pas une ex-call girl racontant sous pseudo ses souvenirs les plus hot. Productrice à la BBC, cette quadra mariée et mère de deux enfants n’a pas a priori le profil de l’emploi. Sauf à considérer, ce qui n’est pas faux, que La chose appartient à tout le monde. Et qu’il ne faut surtout pas, en cette matière, se fier aux apparences. D’une piètre qualité si l’on en croit le Nouvel Obs qui a défloré le premier tome avant sa sortie en français à l’automne, la série est plus une resucée des Harlequin que de Sade. Soit l’histoire d’une pucelle qui, pour plaire à un sémillant milliardaire, accepte, sous contrat, de faire des cabrioles moins conventionnelles que celles qu’on peut croiser dans les Martine. Pas de quoi affrioler celui qui a vu L’empire des sens, qui s’est frotté aux photos de Araki ou qui a mis son flegme à l’épreuve du journal d’Anaïs Nin. Reste que cette pincée de sel suffit apparemment pour émoustiller les mères de famille. Car c’est bien à toutes les Bree Van de Kamp du monde, froides dehors chaudes dedans, que s’adresse cette guimauve horizontale. Depuis American Pie, on sait que les mères font fantasmer les jeunes. Le mythe de l’expérience, des désirs refoulés… De fil en aiguille, le « mommy porn », ou porno pour mamans, a fait son lit sur cette idée que les femmes au foyer sont des bombes sexuelles à retardement. Le cinéma porno a pas mal tartiné d’ailleurs sur le sujet. Une occasion aussi de réveiller la libido endormie de couples ayant laissé le lubrifiant charnel au garage. La Fifty Grey mania perce même le blindage de la pudibonderie. Les book clubs américains, ces cercles de lecture qui sont à la littérature ce que le Tea Party est à la politique, l’ont inscrit à leur programme! Du LSD aurait-il été répandu dans l’eau du robinet? Non. La permissivité a ses limites. Derrière la vitrine un brin salace, c’est une vision bien straight -femme soumise, etc.- que véhicule la saga. Pour la révolution sexuelle, on repassera. La preuve. Malgré ses appels du pied pressants, le satrape Bret Easton Ellis a été écarté pour le scénario de l’adaptation. Universal veut quelqu’un de plus sage. Coït interrompu? l

PAR LAURENT RAPHAËL

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