Poésie en cases

Scénariste, mais aussi comédien et auteur de théâtre, le Namurois Vincent Zabus additionne les sorties BD mâtinées de poésie. Une rareté paradoxale qui a fini par faire toute sa singularité.

Dans L’Éveil, admirablement dessiné par l’italien Thomas Campi dans un Bruxelles contemporain, Arthur, un jeune homme hypocondriaque et qui manque cruellement de confiance en lui, rencontre une jeune street artist bruxelloise qui va bouleverser l’équilibre de son fragile univers et l’obliger à quitter ce qu’il croit être sa zone de confort… Dans Incroyable!, magnifiquement mis en cases par Hippolyte, Français passé par Bruxelles et installé à la Réunion, Jean-Loup, un petit garçon hypocondriaque dans la Belgique des années 80, est perclus de TOC à force de manquer de confiance en lui. Mais doté d’une grande imagination, le petit Jean-Loup se révèle un grand conteur d’histoires, à condition d’être capable de les raconter à d’autres que lui… Récits initiatiques centrés sur des personnages à fleur de peau, mais très différents dans leur traitement graphique et narratif, L’Éveil et Incroyable!, qui viennent tous deux de sortir, partagent encore d’autres points communs derrière lesquels on reconnaît, sans hésitation, le scénariste Vincent Zabus: dans L’Éveil, l’environnement d’Arthur est littéralement envahi par les lettres marquants chaque ouverture de chapitre, quand il ne discute pas avec ses ex qui apparaissent autour de lui, et que des empreintes géantes de dinosaures se multiplient dans Bruxelles; et dans Incroyable!, rempli d’onirisme, le petit Jean-Loup taille des bavettes avec rien moins que le roi des Belges, devenu son ami imaginaire qui dort à même son oreiller! Une poésie visuelle omniprésente dans les scénarios de Vincent Zabus, comme on en voit bien trop peu dans un 9e art qui pourtant s’y prête parfaitement.

Poésie en cases

 » L’aspect théâtral est constitutif de ma façon d’écrire, confirme le Namurois. Beaucoup de mes histoires sont d’ailleurs nées sur les planches. L’histoire est toujours ma matière première, mais elle est très vite influencée par la forme qui sera choisie. Et si je multiplie les jeux formels, ils ne sont jamais gratuits. Je crois que c’est Chris Ware, pur génie de la BD, qui l’a dit lui-même: s’il enlève la forme de ses bandes dessinées, ce n’est plus que du mauvais mélo! L’humour et la poésie permettent de susciter de vraies émotions, surtout dans des récits initiatiques avec des personnages souvent fragiles -c’est mon petit côté Capra. Mais ça ne s’est pas fait tout seul: j’ai deux caisses remplies de projets refusés et publier des albums reste une difficulté. Je ne suis pas Jean Van Hamme! »

Poésie en cases

« Re-créer le réel »

Celui qui n’est pas Jean Van Hamme, mais qui est un peu plus lui-même à chaque album, aura en effet dû persévérer pour imposer un univers poétique comme on n’en avait plus vu en BD depuis le Philémon de Fred. Philologue et journaliste de formation, l’enseignant en lettres Vincent Zabus s’est d’abord affirmé au théâtre avec des troupes comme L’Infini Théâtre, les Baladins du Miroir, les Zygomars ou les Bonimenteurs, dont il est aujourd’hui le directeur artistique. Une activité de conteur qui l’amène naturellement à la bande dessinée  » qui est beaucoup plus proche selon moi du théâtre que du cinéma » .  » Celui-ci témoigne du réel quand théâtre et BD sont obligés de re-créer le réel, avec la même convention du cadre. Ce sont des mondes avec des ponts très marqués, et pourtant ce sont des milieux professionnels qui ne se croisent pas beaucoup. Au début, je m’excusais presque d’essayer de faire les deux, de ne pas être un « professionnel de la profession ». Mais avec le temps, j’ai peut-être gagné en épaisseur, j’ai davantage les moyens de ma politique, j’ai acquis une confiance en moi comme tentent de le faire mes personnages. Avant, je souffrais beaucoup des refus, mais depuis j’ai compris qu’il y aura toujours des gens qui peuvent ne pas aimer ce que je fais, mais que je ne dois pas pour autant m’adapter. Je garde ma petite musique et je continue. »

Poésie en cases

Une abnégation qui a, elle aussi, finit par convaincre la plupart des grands éditeurs: alors qu’il plaçait avec difficulté quelques récits courts il y a 20 ans dans Spirou, Vincent Zabus multiplie désormais les sorties ambitieuses dans différentes maisons qui lui font toutes confiance. Comme Dargaud, qui ne se contente pas de publier son bel Incroyable!, mais réédite également Les Ombres!, son premier récit réalisé en collaboration avec Hippolyte, lui aussi tiré d’une de ses créations théâtrales, et publié en 2015 chez Phébus. Dupuis, qui lui avait donné ses premières chances et ses premiers albums avec les séries courtes Le Monde selon François ou Agathe Saugrenu, lui ouvre les portes de sa prestigieuse collection Aire Libre, pour un nouveau projet très attendu et dessiné par le trop rare Denis Bodart.  » Au contraire d’autres conteurs comme Marc-Antoine Mathieu ou Pascal Jousselin avec son formidable Imbattable , j’ai besoin moi d’un dessinateur pour donner corps à mes idées visuelles, et c’est toujours d’abord, une question d’amitié et d’accointance: le bureau de Bodart est à 30 mètres du mien! Tous participent pleinement à mes scénarios, puisque leur manière de faire sera fondamentale. Là aussi, on retrouve des parallèles avec le théâtre: je deviens le metteur en scène, et eux les acteurs. »

Incroyable!, de Vincent Zabus et Hippolyte, éditions Dargaud, 200 pages.

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L’Éveil, de Vincent Zabus et Thomas Campi, éditions Delcourt, 88 pages.

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