Nouveau film, rétrospective, biographie et expo, le printemps sera Kitano. Décryptage d’un drôle de bonhomme à la lumière de Gosse de Peintre, l’événement de la Fondation Cartier.

Dans son dernier film, Achille et la Tortue (sortie en France mais pas en Belgique), Takeshi Kitano se met en scène sans complaisance. Beat Takeshi -c’est le nom de l’alter ego qu’il s’est créé lorsqu’il intervient en tant qu’acteur- incarne Machisu, un peintre manqué. Ce dernier a beau appliquer à la lettre les conseils d’un galeriste reconnu, son travail n’accède jamais à la reconnaissance. Cette quête obsessionnelle du tableau qui plaira, Machisu la pousse à l’extrême en s’humiliant, sacrifiant sa famille et en mettant sa vie elle-même en jeu. Que faut-il comprendre de cette auto-flagellation? Que le Kitano cinéaste a voulu tuer le Kitano peintre qui était en lui? Ou que, d’une façon générale, Kitano a décidé d’en finir une bonne fois pour toute avec la part en lui obsédée de création et, de la même façon qu’Achille ne rattrapera jamais la tortue -comme l’énonce le paradoxe de Zénon-, il ne lui sera jamais permis d’obtenir satisfaction artistique… Difficile à dire. Ce qui est certain c’est que Takeshi Kitano, gueule cassée de la vie suite à une sortie de route en scooter, entretient un rapport difficile avec son £uvre. Côté cinéma, Achille et la Tortue clôt, par le récit d’une faillite, un cycle de films laborieux – Takeshis (2005) et Glory To The Filmmaker (2007)- autour de la question de l’inspiration. Ses dernières déclarations sur le sujet ne laissent planer aucun doute quant à l’image qu’il a de son travail entre « Je n’aime aucun de mes films », « Mes efforts au cinéma sont restés vains » et « Les Européens me surestiment ».

Au regard de ce qui apparaît comme un échec à ses yeux, les arts plastiques constitueraient-ils autant de portes de sortie pour échapper à la fatalité du destin? Rien n’est moins sûr, on sait qu’Hervé Chandès, le directeur de la Fondation Cartier, a dû déployer des trésors de persuasion pour convaincre le réalisateur nippon d’exposer à la manière de David Lynch qui s’est acquitté de l’exercice avant lui. Tenant sa peinture pour négligeable -même s’il la pratique au quotidien depuis plusieurs décennies-, Kitano a accepté de jouer le jeu à condition d’enrichir l’exposition d’une série d’installations ludiques à l’usage des enfants. Le tout pour un étrange melting-pot qui démonte d’avance toute tentative de prise au sérieux. Dans la foulée, Kitano s’en prend aux rouages de l’art contemporain dont il prend plaisir à desserrer les boulons.

Une sorte de Disneyland

L’exposition de la Fondation Cartier est aussi surprenante et atypique que peut l’être Kitano. Son titre, Gosse de peintre, le cinéaste l’a puisé dans son histoire personnelle: à proprement parler fils de peintre -en bâtiment-, Kitano a enduré les railleries de ses condisciples tout au long de sa scolarité. Ce one-man-show se présente comme un parc d’attraction sur 2 niveaux qui -pour y avoir été un mercredi- suscite l’hystérie des petits et la stupéfaction des grands. Ça bouge, ça fait du bruit et c’est plein de couleurs. Ce mélange de toiles, de décors, d’objets insolites, de sculptures et d’installations provient en ligne droite des rêves de Kitano. Dès l’entrée, un mannequin taille réelle de l’artiste offre son cerveau au visiteur, manière de dire l’investissement personnel. Cet autoportrait cérébral interpelle le curieux par ces mots: « Qui es-tu, toi qui me regardes? » Comme si le double de Kitano avait peine à croire que l’on puisse s’intéresser à lui. Détail piquant, après son accident de scooter en 1994, Kitano avait refusé une craniotomie.  » C’est sûr, en découvrant mes tableaux, mon chirurgien va penser qu’il aurait dû m’opérer!« , a-t-il commenté depuis.

Si le rêve traverse son travail, Kitano ne rompt pas pour autant les amarres de la rationalité. Au contraire, il y a chez lui une volonté encyclopédique. Comme il l’affirme: « J’aime la peinture et le travail des peintres de la Renaissance, comme Léonard de Vinci. Ce que j’apprécie chez eux, c’est qu’au cours de leur vie ils n’empruntent pas qu’une seule voie, ni ne se définissent en fonction d’elle. De Vinci était peintre, mais il était aussi scientifique. » Ce besoin d’expliquer le monde qui l’entoure traverse l’exposition à la manière d’un fil rouge tissé non sans ironie. Kitano livre par exemple sa version de la disparition des dinosaures en plusieurs hypothèses. L’une d’entre elles? « Les dinosaures avaient des petits bras et étaient donc incapables de laver leur derrière. Or, cet environnement peu hygiénique est aussi l’une des hypothèses susceptibles d’expliquer leur disparition! » Toujours dans cet esprit, la pièce qui intrigue le plus est sans doute l’installation Probabilité du hasard. Ce dispositif place une vis et un boulon sur un socle vibrant. Une horloge se propose de mesurer le temps qu’il faudra pour que l’une s’emboîte dans l’autre, métaphore de la création du monde sur fond de hasard, de nécessité et de temporalité infinie.

Reste à voir la peinture du maître au sous-sol. Une vingtaine de toiles plutôt naïves élaborées à la Japonaise sans la moindre perspective. Les couleurs vives ne suffisent pas à retenir l’£il pourtant favorablement disposé par la machinerie haute en couleurs du reste de l’exposition. On glisse d’un tableau à un autre avec une indifférence qui n’est pas sans rappeler celle du galeriste dans Achille et la Tortue. A la manière d’une boucle soudain cruellement bouclée, l’échec de Beat Takeshi Kitano au cinéma se voit prolongé par celui de Takeshi dans la vraie vie. Cette fois c’est sûr, le nom de Kitano ne restera pas pour sa peinture. On se console en lisant la note d’intention: « Avec cette exposition, j’ai sans doute voulu donner une autre définition du mot « art », qui soit moins conventionnelle, moins snob, plus décontractée et accessible à tout le monde. » De fait.

Gosse de Peintre, Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail, à 75014

Paris. Jusqu’au 12/09, www.fondationcartier.com.

Texte Michel Verlinden, à Paris

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