POUR LA RENTRÉE, FOCUS VOUS PROPOSE UN NOUVEAU STRIP HEBDOMADAIRE SIGNÉ PAUL KIRCHNER, ÉTOILE FILANTE DE LA BD UNDERGROUND DES 70’S, QUI REVIENT AU VOLANT DE SON DRÔLE DE BUS. UN TICKET POUR L’ABSURDE, SVP.

C’est l’histoire d’une résurrection. A laquelle nous prêtons modestement notre concours en publiant désormais chaque semaine en exclu un strip (lire page 7) du deuxième tome des aventures surréalistes du Bus, à paraître à la fin de l’année chez Tanibis. Après s’être fait un nom dans le milieu de la BD underground américaine au milieu des années 70, Paul Kirchner avait complètement disparu des radars, aspiré par le côté obscur de la force (il passe l’essentiel des années 90 et 2000 à travailler pour l’industrie du jouet, en dessinant notamment les figurines militaires Eagle Force pour la marque Mego, et dans la publicité) qui, à défaut de l’épanouir artistiquement, lui permettait de faire chauffer la marmite.

Formé à l’école des Beaux-Arts de Cooper Union à New York, ce fan de Jack Kirby et Steve Ditko brûle la chandelle psyché du début des seventies par les deux bouts. L’East Village a des allures de camp hippie et de procession freak à l’époque. Un job à mi-temps dans une boutique de comics lui assure le minimum vital -la flambée des loyers n’a pas encore asphyxié le poumon arty de la mégalopole.

Pas le temps de décrocher son diplôme qu’il se retrouve propulsé comme assistant dans différents studios, dont celui de la légende Neal Adams. C’est à un copain de classe, Larry Hama, futur scénariste de Wolverine et GI Joe, qu’il doit cette entrée en matière précoce. Nous sommes en 1973 et Paul n’a encore que 21 ans. Il sera tour à tour crayonneur pour des comics d’horreur et petite main sur l’insubmersible (elle est née dans les années 30) série populaire Little Orphan Annie, celle-là même qui inspirera en 1982 la comédie musicale à succès Annie de John Huston. C’est à cette période qu’il réalise sous pseudo (il redoute que ses parents, son père -prof à Yale- en particulier, ne le démasquent) une quarantaine de couvertures pour Screw, revue porno et manifeste libertaire où se retrouvent une belle brochette d’allumés sous perfusion Hara-Kiri. Plutôt que de l’enfermer dans un genre, cette expérience à la marge va au contraire lui ouvrir de nouvelles portes. Et notamment celles du prestigieux New York Times, avec lequel il collaborera pendant plusieurs années.

Au firmament de sa créativité, la nouvelle étoile va créer coup sur coup deux personnages très différents, même s’ils partagent un même ADN surréaliste, qui vont asseoir sa crédibilité d’auteur de comics alternatif pour l’un, d’artisan génial du non-sens muet pour l’autre: le premier s’appelle Dope Rider. Les histoires tordues de ce squelette toxicomane échappé d’un Sergio Leone sous acide trouveront refuge dans les pages de High Times, revue phare de la contre-culture. On le croisera également dans L’Echo des savanes de ce côté-ci de l’Atlantique.

Aux antipodes de ce western pétaradant, le Bus évolue dans l’univers délicieusement absurde et graphiquement éblouissant de ce pince-sans-rire qui avoue une admiration pour Bosch, Magritte, Dali et Escher. En six ou huit vignettes taillées dans un noir et blanc ciselé, Paul Kirchner nous immerge ici dans un monde onirique dont les bus sont les héros et des empêcheurs de penser en rond. Sous le regard d’un personnage récurrent à la silhouette débonnaire, qui est comme notre témoin dans cette 4e dimension, les véhicules s’enfoncent dans le sol, se dégonflent, manifestent, tombent du ciel ou voyagent dans le temps au gré des situations.

Chaque strip est comme une fable grinçante. Qui démarre avec une situation ordinaire et dérape rapidement vers le non-sens ou le fantastique. Un homme qui attend à un arrêt jette son journal dans la rigole, un camion de nettoyage passe, dans la case suivante, le journal a disparu mais le pollueur aussi… L’auteur joue tantôt sur les mots, les prenant au pied de la lettre, tantôt sur le télescopage des images pour glisser un petit grain de sable et de folie dans la mécanique du réel. Et nous… transporter ailleurs par la même occasion. Paul Kirchner laboure le même champ magnétique que l’artiste français Gilbert Garcin, qui se met en scène (lui aussi avec un imper!) dans des photos qui jouent sur l’effet d’optique pour bousculer et taquiner la réalité.

Autant Dope Rider semble être une réminiscence de ses années de jeunesse, autant le Bus roule au diesel de la maturité. Outre une publication régulière dans Heavy Metal, un recueil des dessins de son véhicule paraîtra en 1987. Et puis? Et puis plus rien. Lassé de tirer le diable par la queue et de vivre sur le radeau du free-lance, l’ex-fan des seventies range ses crayons dans un tiroir et décide de mettre son talent de dessinateur au service d’entreprises plus stables et plus rémunératrices. Le bus restera au garage pendant 28 ans.

La réédition en France en 2012 à l’initiative de Tanibis des aventures loufoques de son héros à quatre roues, suivie d’un revers professionnel l’année suivante, va l’inciter à se remettre derrière sa planche à dessins. Comme il l’explique avec humour dans une biographie dessinée récemment pour le Boston Globe, il pensait que la source s’était définitivement tarie et qu’il ne serait plus capable d’imaginer des sketches aussi barrés que dans sa jeunesse. Et pourtant, comme par magie, les deux robinets se remettent immédiatement à couler. Dope Rider retrouve même High Times et il accumule assez de strips du Bus pour un nouvel album que nous livrerons donc chaque semaine en pièces détachées. Bienvenue à bord!

TEXTE Laurent Raphaël

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