Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

LA RÉVÉLATION D’UN JEUNE CINÉASTE CHINOIS DE TALENT, AVEC UN ROAD MOVIE À LA MÉLANCOLIE POÉTIQUE ET POIGNANTE.

Kaili Blues

DE GAN BI. AVEC FEIYANG LUO, LIXUN XIE, YONGZHONG CHEN. 1 H 50. SORTIE: 27/04.

8

Pour faire court, on pourrait présenter Kaili Blues comme un mélange de Tsai Ming-liang (pour la pluie omniprésente et la mélancolie), Hou Hsiao-hsien (pour les déambulations à moto) et Jia Zhang-ke (pour le goût du plan-séquence et le microcosme provincial). Oui, mais on n’a pas forcément envie de faire court devant la révélation du premier film de Gan Bi… A 26 ans, c’est avec un prêt de 3 000 euros de sa mère et l’aide d’un ancien professeur qu’il a pu monter Kaili Blues. Tourné dans et autour de sa ville natale, le film a pour personnage principal un médecin, Chen, qui officie localement avec une partenaire âgée. Très lié à son neveu Wei-wei, il reproche à son demi-frère, père du gamin, de le négliger, voire de vouloir carrément le vendre. Alors, quand Wei-wei disparaît soudainement, Chen se lance à sa recherche. Non sans avoir promis à sa collègue d’apporter des souvenirs personnels à son ex-amant dont elle a appris qu’il se meurt… Ainsi commence un road movie singulier, empruntant la double ligne sinueuse d’une route de montagne et de la rivière en contrebas. Il pleut beaucoup dans ce coin de la province du Guizhou, au sud de la Chine (170 jours par an, de 1 000 à 1 300 millimètres), où vivent des représentants de plusieurs minorités ethniques, dont celle des Miao, qui vont jouer un rôle dans la quête de Chen.

41 minutes

Inscrit dans un cadre éminemment réaliste, filmé à hauteur d’homme (et de femme, et d’enfant), joué par des non-professionnels, dont l’oncle du réalisateur dans le rôle central, Kaili Blues n’en prend pas moins, et progressivement, une dimension poétique. Son jeune auteur, féru de culture bouddhiste, a eu l’idée du film en lisant le Sûtra du diamant où une phrase énonce: « L’esprit passé est inatteignable, l’esprit présent est inatteignable et l’esprit futur est inatteignable. » La citation n’élucidera pas les mystères de Kaili Blues, mais sous-tend sans aucun doute la très audacieuse ellipse temporelle qu’y ose Gan Bi. Lequel place par ailleurs au coeur de son film un plan-séquence de… 41 minutes, dont la fascinante virtuosité n’est qu’instrument au service d’une cause existentielle: amener le spectateur à ressentir « la temporalité du lieu et des personnages » comme ce fut rarement le cas au cinéma.

Se réclamant d’Andreï Tarkovski et de Hou Hsiao-hsien, Gan Bi propose un cinéma sensuel et spirituel à la fois, aimant la digression, empruntant les chemins de traverse pour mieux offrir une expérience globale, qui nous hante bien après la dernière image. Les festivals de Locarno et de Nantes, qui l’ont tous deux primé, ne se sont pas trompés: Kaili Blues signale la naissance d’un probable futur grand du 7e art. Et compte tenu du bouillonnement de jeunes talents audiovisuels en Chine, malgré ou à cause de la censure politique, d’autres ne tarderont pas à émerger. Le soleil se lève toujours à l’Est…

LOUIS DANVERS

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