Quel est l’intérêt de confronter un peintre comme Rubens aux artistes modernes et contemporains? On n’a rien compris si l’on pense cyniquement qu’il est juste question d’appâter le chaland avec quelques noms réputés -Lucian Freud, Francis Bacon ou Willem de Kooning- pour faire recette auprès d’un large public. Bien sûr, impossible de nier que cette dimension de « glamourisation » existe bel et bien dans la tête de ceux pour qui la culture est une industrie comme les autres, c’est-à-dire avec un horizon de profit comme but ultime.

Reste que le vrai sens de cette entreprise est à trouver dans les sciences du vivant. C’est Jean-Claude Ameisen -médecin, chercheur, immunologue et auteur de l’émission de France Inter Sur les épaules de Darwin– qui en fournit l’explication dans un très bel ouvrage(1). Ameisen montre comment la découverte de l’ADN, l’acide désoxyribonucléique, a pu faire office de clé pour percer le mystère de notre origine. Comme il l’explique, « le long ruban de l’ADN (…) dont l’universalité dans le monde vivant et les variations de générations en générations ont permis de confirmer à la fois l’origine commune de l’ensemble des êtres vivants, leur degré de parenté et leur incessante diversification au cours de l’évolution. » Soit une véritable généalogie du vivant. Cette lecture rétrospective de l’Histoire du monde a permis l’avènement d’une mémoire étrange et merveilleuse, le « souvenir de ce que personne ne nous a transmis« . Du coup, c’est tout le passé qui change: nous sommes soudain devenus les cousins « des oiseaux, des arbres, des papillons et des fleurs« . Ce long détour permet de comprendre qu’examiner Rubens à la lueur des contemporains renouvelle ce que l’on peut savoir de sa peinture. Ce voyage à contre-courant signe une réversibilité du temps dans laquelle le passé n’est pas éteint. Au contraire, Rubens continue à vivre en Francis Bacon parce que ce dernier est ce que le maître flamand est devenu. Ils se touchent à travers le temps. En clair, sans Rubens impossible de comprendre Bacon, et, sans Bacon on ne parvient pas à mesurer le génie de Rubens. Pascal Quignard a écrit: « Rien de plus mouvant que le passé. Le présent ne cesse de réordonner ce qui l’alimente. » C’est le fameux « on ne sait jamais de quoi hier sera fait« . Les muséographies qui confrontent anciens et modernes renouvellent notre regard de façon inespérée. En convoquant l’absence, en faisant remonter « la présence de l’absence » à la surface, ces expositions contribuent à faire surgir ce qui nous a précédés au-delà du contexte dans lequel ce surgissement a eu lieu. Car, c’est justement ce qui précède qui fait de nous ce que nous sommes. Cette « aube retrouvée », cette main tendue à travers le temps, est sans doute la plus belle bouée de sauvetage qui nous ait été lancée. Perdus dans un espace et une temporalité vertigineuse, il n’est pas inutile de nous y accrocher. Il s’agit rien moins que d’un îlot de sens perdu dans un océan d’incertitudes. Comprendre d’où nous venons, ce n’est certes pas savoir où nous allons, mais c’est déjà une balise… pas en carton.

(1) SUR LES ÉPAULES DE DARWIN, RETROUVER L’AUBE, JEAN-CLAUDE AMEISEN, ÉDITIONS LES LIENS QUI LIBÈRENT, 2014.

M.V.

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