Présentée à Gand, l’exposition Jacques Tati: deux temps, trois mouvements offre l’occasion de se replonger dans l’univers d’un cinéaste évoluant au confluent du burlesque et de la modernité…

Auteur rare autant qu’essentiel -6 longs métrages, à peine, mais lesquels!-, Jacques Tati déclara un jour vouloir que le film commence lorsque le spectateur quittait la salle. Un souhait pris à la lettre par l’exposition Deux temps, trois mouvements, produite par la Cinémathèque française et mise en scène par Macha Makeïeff, qui, après Paris, se voit désormais déployée au Caermersklooster, en prolongement au festival de Gand. Plongeant le visiteur dans l’univers du génial cinéaste, force documents rares, pièces de collection, photos et extraits de film à l’appui, cette manifestation en fait, en quelque sorte, le pendant contemporain des touristes américaines de Play Time, tout à leur émerveillement à la découverte des inventions présentées à l’exposition internationale de mobilier de bureau -de la poubelle en forme de colonne grecque au balai lumineux, dont des répliques figurent ici. Le monde de Tati, on s’y introduit par immersion, sonore pour le coup, littéralement absorbé par les images bruitistes de Play Time. Les caprices de la communication et du langage sont en effet au c£ur d’une filmographie dont ils composent l’un des motifs essentiels, allant bien au-delà de l’efficace artifice burlesque, postulat affirmé dès Jour de fête pour ne plus se démentir par la suite. Déclinée dans des décors estampillés Tati, la suite du parcours, qui convoque images d’Epinal -pipe géante, vélo de François le facteur…- assorties d’autres, inattendues -la lettre que lui adressa Pasolini, l’invitant à jouer dans l’un de ses films…-, ne se contente pas de dresser un inventaire de l’£uvre d’un auteur à la fantaisie perfectionniste, elle en restitue aussi la magie et la poésie, non sans en réaffirmer la stupéfiante modernité.

Grain de sable et standardisation

Si l’on s’y perd, non sans une certaine délectation d’ailleurs, quelque part entre Saint-Marc-sur-Mer, décor exclusif des Vacances de Monsieur Hulot évoqué cabines de plage à l’appui, et une reproduction de la villa Arpel, cadre design de Mon oncle, à moins que ce ne soit du côté de la cité administrative de Play Time, dont elle offre des images récurrentes, l’exposition vient en effet rappeler, ludiquement s’entend, combien Tati n’a cessé d’interroger son temps d’un regard aiguisé autant qu’amusé. De Jour de fête, en 1949, à Trafic, 22 ans plus tard, la France a connu une mutation radicale, en effet, celle du basculement dans la modernité, à l’£uvre dans les films d’un cinéaste qui en a tiré le portrait avec un humour nourri d’un esprit volontiers critique -poussant notamment jusqu’à l’absurde les dérives de la standardisation. De quoi poser, assurément, les bases d’une £uvre d’autant plus visionnaire que nourrie aussi du désir d’expérimenter.

A cet élan, Tati a veillé à greffer sa foi en l’homme, dont il instruit le rapport à son environnement matériel. Personnage emblématique de son univers, Hulot, cet hurluberlu maladroit mais point malveillant, semblant défier l’ordre obtus presque malgré lui, n’est autre que le grain de sable à même de gripper les mécaniques présumées les mieux huilées -voir la scène du Royal Garden dans Play Time. Intemporel et universel, donc: si l’héritage de Tati est à chercher aussi bien du côté d’Abel et Gordon que de Bent Hamer, sans même parler de L’illusionniste de Sylvain Chomet, adapté de l’un de ses scénarios, il se trouve, au c£ur de cette remarquable exposition, jusqu’à David Lynch et Wes Anderson pour lui rendre hommage…

Jacques Tati: deux temps, trois mouvements. Caermersklooster, Gent, jusqu’au 16/01/2011.

www.caermersklooster.be

Visite guidée Jean-François Pluijgers

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