Partie de chasse

"Je suis préoccupée par le climat, la violence et la haine. Je pense pourtant que toutes les solutions sont à portée de la main. " © RENAUD CALLEBAUT

Sandrine Collette est l’une des voix les plus singulières du roman noir hexagonal. Son récent Animal -une traque à l’ours au Kamtchatka- est plus que jamais physique, extrême et éprouvant.

Samedi 16 mars. Quasi au même moment où les premières scènes de guérilla urbaine sur les Champs-Élysées apparaissent sur les réseaux sociaux à l’occasion de l’acte XVIII des Gilets Jaunes, la romancière Sandrine Collette termine son chocolat chaud dans une brasserie de la porte de Versailles. L’autrice des récents Les Larmes noires sur la terre (2017) et Juste après la vague (2018) s’apprête à regagner le Salon du Livre de Paris pour y dédicacer son septième roman Animal, sorti il y a une quinzaine de jours. Un récit malin, original et puissant qui explore la frontière fine et ténue entre l’animalité et l’humanité. Une histoire qui débute dans la forêt népalaise pour se poursuivre 20 ans plus tard dans la péninsule volcanique du Kamtchatka où un groupe de chasseurs paie 10 000 euros par tête de pipe pour courser l’ours. Cette traque s’apparente à une quête pour la Française Lior, dont le comportement se modifie au point de se révéler sauvage et animale. Ce roman sang pour sang noir, sec, tendu et racé dénonce la connerie humaine dans toute sa splendeur autant qu’il magnifie la nature. De là à écrire que cet ouvrage sur la résilience et la survie fait écho à l’état d’insurrection qui agite la France et sa Macronie, il n’y a qu’un pas que Sandrine Collette se refuse à franchir.

 » Je suis trop peu socialisée ou politisée pour ça, confesse-t-elle. Je suis plus préoccupée par le climat, la violence et la haine. C’est ce qui me met en colère. Je pense pourtant que toutes les solutions sont à portée de la main. Et je vis à la campagne, je fais l’autruche… » Sa campagne, c’est le Morvan. Qu’elle connaît depuis quasi 50 ans. Bien que séjournant à Paris, où elle est née en 1970, le père (publicitaire chez Europe 1) et la mère (qui travaillait pour un institut gérant les expositions au Grand Palais) emmènent Sandrine et sa frangine sur les terres familiales tous les mercredis et les week-ends. Un aïeul y avait une maison. Son paternel en a acheté une. Et l’écrivaine aussi. Une maison dont elle a refait récemment la toiture. C’est là, au milieu d’Aiko, Tag, Eclipse et Vodka, ses quatre chevaux, qu’elle se sent le mieux. Mieux que dans les bras de son amoureux?  » C’est plus paisible » , confesse-t-elle avant de laisser échapper un (premier) rire franc.  » Je vais peu au cinéma. Je ne vais pas voir de concerts. J’écoute un peu de musique classique. Mon moteur, c’est la famille alors que je n’ai pas d’enfants. Par choix. Trop d’angoisses. Mais les chevaux… Vous les regardez, vous les écoutez manger, ils vous suivent, c’est apaisant. »

Partie de chasse

Sandrine Collette, gamine, dévore L’Étalon noir ( la série de Walter Farley en Bibliothèque Verte, NDLR) avant son premier choc  » vers 17 ou 18 ans, quand je commence à me faire de l’argent pendant les vendanges, avec Les Cavaliers de Kessel« , consacré à l’Afghanistan. Ce n’est sans doute pas un hasard si un des personnages du bouleversant hymne à la débrouille et à la solidarité féminine qu’est Les Larmes noires sur la terre est une réfugiée afghane. Ensuite, celle qui signe son premier roman après la quarantaine ( Des noeuds d’acier, Grand Prix de la littérature policière en 2013, NDLR) se passionne pour Marguerite Duras, Françoise Sagan. C’est l’époque où elle étudie la philo et les sciences politiques.  » Je me souviens d’un de mes profs qui m’avait dit après avoir lu mon mémoire sur La Crise sacerdotale chez les curés de campagne que ce n’était ni du journalisme, ni de la littérature. Cette décennie universitaire m’a surtout appris à écrire en enlevant les adverbes et les adjectifs parce que je pense que pour respecter une pensée, on n’a pas besoin d’enluminures. » C’est aussi à Nanterre, où elle bascule de chargée de cours à chef de cabinet du président de la faculté, qu’elle nourrit sa pensée avec les écrits de Hannah Arendt. Quand on vous parlait de résilience…

 » J’ai mes tocs, avoue Sandrine sans baisser les yeux. Comme la survie, la famille et la folie. Pour Juste après la vague (anxiogène et oppressante histoire d’une famille après un tsunami-NDLR ), le déclic, c’est la nature et ma peur de l’eau. Mon père m’a dit un jour que mon arrière-grand-père ne prenait pas son bain sans tenir la main de sa femme, ça doit venir de là. Avec Animal , c’est mon anti-chasse primaire qui parle. Dans le Morvan, on ne se balade pas l’hiver de peur de s’en prendre une« . On en viendrait à ajouter un sentiment d’abandonite aiguë qui jalonne son oeuvre.  » C’est sûr que je mets beaucoup de mes interrogations et de mes peurs dans mes romans. L’abandon, c’est lié au divorce de mes parents. Mais bon, je ne suis pas la seule dans le cas… »

Quoiqu’il en soit, Sandrine Collette en fait voir de toutes les couleurs à ses personnages. Et n’est pas prête à calmer le jeu.  » Sans rien révéler du prochain, le point de départ, c’est ce que les scientifiques appellent « la sixième extinction ». Celle d’avant la cinquième, c’est-à-dire la disparition des dinosaures il y a 66 millions d’années. Les grands mouvements climatiques sont là et même si nous les aggravons, ce n’est pas parce que le processus est déjà engagé qu’il ne faut rien faire. » On est bien d’accord!

Animal, de Sandrine Collette, éditions Denoël, 288 pages.

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