Parer l’écrou

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Dans son sixième roman, l’Anglais John King injecte imaginaire et fantastique entre les murs poisseux d’une geôle.

On connaissait le John King originel, celui de sa trilogie nineties consacrée aux hooligans et supporters anglais, de Football Factory (1996) à England Away (1999), puis le King fasciné par d’autres marges, avec les ébouriffants Human Punk (2000) , White Trash (2002) puis Skinheads (2008). C’est pourtant en 2004 que l’Anglais de Slough ressent apparemment, avec Prison House, le besoin intense de plonger ses lecteurs estomaqués dans les moiteurs sinistres d’une geôle d’Europe du Sud, et de livrer surtout son chef-d’oeuvre à ce jour. Sous la forme d’un conte onirico-cloaqueux où l’âpreté quotidienne des jours à l’ombre vient buter contre l’intarissable imagination de son personnage, il projette ce dernier dans un monde invivable, qu’il lui reviendra de domestiquer malgré deux handicaps de poids: il ne parle pas la langue qui y circule, ni ne sait vraiment sous quel fallacieux prétexte il s’est retrouvé enfermé là. « C’est marrant comme le vent peut évoquer des voix d’hommes en train de discuter et comme les discussions des hommes peuvent ressembler aux cris de panique des animaux », se fait remarquer cet Uzbek (ou Rica) noyé dans une candide incompréhension comme l’étaient les héros des Lettres Persanes de Montesquieu, et qui passera à deux pas d’une rédemption dédiée à cultiver un jardin. Entouré de versions fantasmées de codétenus bien réels voire de très tangibles compagnons imaginaires, Jimmy « Jay Jay » Ramone errera en ces limbes, en quête moins des clés de sa cellule que de celles de sa trajectoire passée -un drame vécu enfant comme élément déclencheur d’une longue dérive.

Parer l'écrou

La grande évasion

Fasciné par les « vagabonds » modernes -voyageurs azimutés, paumés galériens ou flamboyants bouffeurs de macadam-, son périple mental à la première personne le trimballe des petites attentions carcéro-solidaires aux explosions de colère et de violence, mais surtout sur des routes tantôt imaginaires, tantôt mémorielles. Soit tour à tour aux basques de Baba Jim (en Inde) et Jimmy Rocker (aux US), sortes de Jésus et Elvis réinventés pour ne pas perdre totalement pied, loin donc du décor médiéval de la geôle/château de Seven Towers qui l’accueille contre son gré. Ou, de manière plus intime, auprès de ses Maman et Mamie, en son enfance sans père où le brave gamin qu’il était, persuadé par éducation qu’on trouve toujours plus à plaindre que soi, surinvestit les marques d’attention et s’étonne parfois des bienveillances gratuites d’inconnus étrangers. Il en est persuadé malgré son triste sort, il reste « l’homme innocent qui ne fait que passer, globe-trotteur pacifique et romantique qui n’a rien à faire ici et ne mérite pas d’être traité de la sorte »… soumis pourtant aux penchants sadiques de geôliers porcins, de psychopathes ou violeurs de « l’autre bloc » qui ne lui laissent d’autre choix que de s’enfuir à l’intérieur de sa tête, à toute heure du jour et de la nuit. Confronté à « un système propre sur lui et pervers à tous les niveaux », il n’aura de cesse de gambader en des terres mieux loties autant qu’irréelles, comme le Privé de Brautigan, jusqu’à risquer presque par hasard de déterrer la cause profonde de son infortune.

Prison House

De John King, traduction de l’anglais (royaume-uni) Diniz Galhos, Nicolas Richard, éditions Au Diable Vauvert, 372 pages.

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