Paranoïa mon amour

© LUCA LOMAZZI

Dans un premier roman à tiroirs étourdissant, Martin Mongin se joue du désir de sauveur qui hante l’inconscient politique des démocraties fatiguées.

Qui est Francis Rissin? Dans une France qui ressemble à s’y méprendre à celle d’aujourd’hui, quoique revue avec la touche un peu vintage des films paranoïaques de Henri Verneuil, la question est sur toutes les bouches. Sans crier gare, des affiches se sont mises à fleurir jusque sur les murs des municipalités les plus reculées, ornées de ce seul nom -aussi énigmatique que banal. Aussitôt, ce qu’on pourrait appeler « l’effet Fantômas » s’est déclenché: si ce nom à la capacité d’apparaître partout en même temps, c’est qu’il est celui d’un individu aux pouvoirs extraordinaires -peut-être même, qui sait, le sauveur que la France ne peut s’empêcher d’attendre. Pour Martin Mongin, auteur de l’époustouflant premier roman qui, lui aussi, arbore le nom de Francis Rissin en couverture, l’hypothèse était trop irrésistible pour ne pas la suivre jusqu’à ses ultimes (et sinistres) conclusions. Francis Rissin, hanté par les spectres contradictoires de l’espoir fou et de la désillusion brutale scandant le rythme binaire de la vie politique du présent, en dissèque le processus avec une virtuosité hallucinante, pour mieux dire la folie messianique. Tour à tour thriller, journal intime, fantastique, chronique locale, rapport administratif, il raconte ainsi l’épopée de la circulation et de l’investissement d’un nom jusqu’à ce que celui-ci, d’une manière aussi inattendue que cruelle, finisse par s’incarner. C’est peu dire que la fable (car c’en est une) fonctionne: en réalité, elle pétarade, fonce et négocie tous les virages sur les chapeaux de roue tant Martin Mongin, par ailleurs philosophe enseignant dans les classes de terminale, déploie de jubilation à l’écriture. Non seulement l’investigation sur les mécanismes de construction d’un héros dans un pays qui préfère rêver que s’organiser est-elle impitoyable, mais le jeu de l’oie littéraire que propose le saut de genre en genre ferait baver le plus sévère maître de chacun. Il n’y a rien de crispé, rien qui ne pourrait évoquer une sorte de néo-postmodernisme, dans Francis Rissin. Il n’est rien, même jusqu’au prétexte formulaire de la redécouverte d’un dossier d’archives oublié ouvrant le roman, qui ne tienne sa promesse au premier degré -celle de la révélation des tenants et aboutissants d’une « affaire » qui ne l’a été que parce qu’on l’a voulu. Dans une autre vie, Martin Mongin a sans doute été fonctionnaire, auteur de romans policiers, chroniqueur dans une gazette de province, et s’est sans doute bien amusé dans toutes ces fonctions -ou, en tout cas, en a ramené une belle estime pour les formes auxquelles il lui avait fallu s’astreindre. C’est la seule explication possible de la dignité, aussi, avec laquelle il choisit d’investir chacun des genres racontant l’histoire d’une rumeur pas si urbaine que ça -une dignité qui évite l’ironie distinguée qui gangrène en règle générale le rapport de la littérature française contemporaine à ce qui lui est extérieur. Peut-être, du reste, avez-vous déjà aperçu dans les vitrines le nom de Martin Mongin, et vous êtes-vous dit, devant ce patronyme (aussi énigmatique que banal), qu’il vous appelait. Peut-être aviez-vous raison. Et si Martin Mongin était le sauveur de la littérature française?

Paranoïa mon amour

Francis Rissin

De Martin Mongin, éditions Tusitala, 616 pages.

10

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content