Paradise Now

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L’album posthume du géant spleen Leonard Cohen, aménagé et produit par le fils Adam, a la qualité sépulcrale d’un ultime récitatif d’outre-tombe.

Paradise Now, Golden Globe du meilleur film étranger, est un long-métrage palestinien racontant en 2005 l’incertitude de deux potentiels kamikazes face à l’acte définitif. C’est aussi le titre de la pièce du Living Theater, troupe new-yorkaise garantie 100% contre-culture , faisant en 1968 scandale à Avignon -et ailleurs- via ses bacchanales de corps nus entrelacés. Le rapport avec le disque post-hume du grand Canadien à chapeau? L’évocation d’une vie de plaisir et de jouissance qui ne peut aboutir qu’aux affres forcément humains de la disparition physique. Cette dernière est donc la compagne naturelle de la plupart des neuf titres d’un album rappelant combien l’amour, la croyance religieuse et l’inexorable porte de sortie finale n’ont cessé de façonner l’écriture vertébrale de Cohen. En l’occurence, des textes aussi vénéneux que caustiques portés par une voix de plus en plus basse et récitative au fil des décennies. Déjà sur les derniers disques de Leonard vivant, dont le You Want It Darker, sorti un mois avant sa mort, le 7 novembre 2016, à l’âge de 82 ans.

Paradise Now

Vertiges de l’amour

La voix du maître est donc descendue dans les catacombes des graves et du murmure: plus bas, cela ne peut être que l’enfer sur Terre.  » I can make the hills/The system is shot/I’m living on pills/For which I thank God », récite plus qu’il ne chante Leonard sur The Hills, comme si l’haleine embuée de la mort lui signifiait le temps désormais compté à consacrer à sa poésie. Thanks for the Dance est bien la signature d’un homme -souffrant de leucémie, mort suite à une chute- au destin bientôt scellé: dans la maladie paralysante ( The Goal) ou la gravité d’une mémoire juive et l’ineptie monstrueuse de toutes les dictatures ( Puppets) . Sans négliger l’irréductible vertige des tumultes amoureux, son sujet de prédilection le plus récurrent depuis le premier album paru en 1967 ( Moving On, The Night of Santiago). Les textes de l’album sont donc rescapés des sessions de You Want It Darker, signés Leonard, auteur d’une seule des musiques, celle de The Hills. Les autres ont été prises en charge par le fils Adam, partageant à trois reprises leur composition avec des fidèles du père, Anjani Thomas, Sharon Robinson et Patrick Leonard. Aîné des deux enfants Cohen -né en 1972-, Adam a donc emmené la voix solitaire du père en studio comme on se déplace à la dernière demeure. Il l’a produite, habillée d’instrumentations cérémonieuses et de mélodies immanquablement lentes et mélancoliques. Seconde nature dénuée de surprise où le dépouillement charnel prend des parfums de bouzouki -clin d’oeil à la Grèce tant aimée?-, avec la présence sur un titre seulement du remarquable et québécois Shaar Hashomayim Synagogue Choir. Malgré l’effet d’annonce promo, les invités stars Leslie Feist, Damien Rice, Jennifer Warnes- sont fondus dans les choeurs, la vedette Beck se contentant d’une participation tout aussi anonyme à la guitare et guimbarde. Il n’y aura aucune ambiguité: le roi est mort, vive le roi. Et sa voix outre-tombale guide de cette élégante dernière danse.

Leonard Cohen

« Thanks for the Dance »

Distribué par Sony Music.

8

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