Paradis d’ enfer

De Laeken à L.A., Hamza signe avec Paradise un premier album qui sonne comme une consécration. © NICO BELLAGIO

Rappeur incontournable de la scène francophone, le Bruxellois Hamza sort officiellement son premier véritable « album ». Flow précieux et verbe vicieux pour l’un des disques raps les plus attendus de l’année.

La scène a de vagues airs de polar à la Chester Himes. Dans un coin du métro, une femme sniffe sa fiole d’éther, tandis qu’un peu plus loin, un grand type arpente la rame frénétiquement. D’une voix forte, il annonce:  » L’Enfer est proche, le diable est parmi nous. Mais vous pouvez encore y échapper, et trouver la rédemption. Jésus-Christ peut vous sauver, il vous apprendra à laisser tomber vos vices, vous libérera de vos addictions, de vos idoles… » Nous ne sommes cependant pas à Harlem dans les années 50: le prédicateur aux yeux un peu fous est un jeune échalas blond à la dégaine de hipster, et le métro n’amène pas à Lenox Avenue, mais bien place De Brouckère. Brussels city, just like I pictured it

Quand on lui raconte l’anecdote, Hamza se marre. Le rire est franc et d’autant plus surprenant qu’on ne le voit pas venir: comme d’habitude, le rappeur a planqué son regard derrière de larges lunettes noires. Il ne les quitte pratiquement jamais. Plusieurs hypothèses, toutes valables, pour l’expliquer: un goût pour la frime bling-bling; le signe d’une vraie timidité; ou encore l’attribut indispensable de ceux qui vivent et travaillent surtout la nuit -Hamza turbine ses tubes une fois le soir tombé, on y reviendra.

L’enfer, le paradis: tout cela, Hamza voit bien de quoi il s’agit. Pas seulement parce qu’il a intitulé son album Paradise. On comprend vite qu’avant d’y arriver, le rappeur s’est aussi retrouvé plus d’une fois, non pas dans la galère, mais bien au bord du gouffre.

Jusqu’ici, la trajectoire d’Hamza Al-Farissi avait pourtant suivi la forme d’une courbe ascendante. Avec la mixtape H-24, sortie en 2015, le Bruxellois fut l’un des premiers à faire frémir la hype hip-hop belge. À sa manière: en lorgnant moins sur l’exemple français que sur les héros américains, plus attentif à ce qui se tramait à Atlanta que dans le « 9-3 ». De quoi amener certains à résumer sa musique à une sorte de déclinaison yéyé du format US? Certes. Sauf que la version d’Hamza made in Laeken parvient régulièrement à égaler l’original, l’exotisme francophone en plus. La méthode est éprouvée: si la rime est salace, le flow est crémeux. Comme personne, Hamza endosse le costume du crooner salopard. Vicelard, il a appris à enrober ses crasses dans un sucre mélodique r’n’b, en topliner naturellement surdoué ( lire plus loin). Résultat: il est peut-être le seul rappeur francophone actuel à avoir réussi à trouver des oreilles attentives à l’international, ket maroxellois pissant depuis Bruxelles pour arroser jusqu’au-delà de l’Atlantique.

On en veut pour preuve l’invitation lancée par la superstar Drake à le rejoindre sur scène, lors de son concert parisien, le week-end dernier… Sur la scène de Bercy, Hamza a interprété Life, son plus gros tube. Le morceau est issu de 1994, premier de ses disques à avoir pu bénéficier de l’appui d’une major.  » C’était une sorte de première carte de visite officielle. C’est d’ailleurs pour ça qu’on n’y trouve aucun invité. Je voulais proposer un condensé de ce que je sais faire. » Publié à la fin 2017, 1994 était encore présenté comme une mixtape. Le premier album officiel, Paradise, arrive seulement maintenant. Soit un an et demi plus tard. Une éternité pour un rappeur comme Hamza, qui a habitué à enchaîner les projets. Alors, forcément, on pose la question.  » Tu veux savoir pourquoi ça a pris autant de temps? OK, je vais t’expliquer vite fait… »

Paradis d' enfer
© NICO BELLAGIO

L.A. Confidential

Comment « vendre » l’idée d’un premier album, quand on ne peut même plus jouer sur l’effet de surprise? Ou, pour le dire autrement, comment imaginer un disque qui sert à la fois d’introduction, tout en amenant déjà une certaine forme de consécration? C’est sans doute ce paradoxe qui a fait douter Hamza.  » En rentrant en studio, j’ai eu un peu de mal. Je me posais trop de questions: où je voulais aller, ce que je voulais donner exactement. J’aime bien surprendre. Et là, je me mettais trop de pression, j’avais l’impression de tourner en rond. » Coup de fatigue: après plusieurs mois intenses, la machine est grippée. À l’automne, le rappeur n’est encore nulle part. Pire: c’est à ce moment-là qu’il perd son paternel. Pour la première fois depuis dix ans, il retourne « au pays » du côté de Nador, dans le Rif marocain, pour les funérailles. Ce « retour aux sources » forcé est bénéfique, mais aussi déstabilisant. Hamza est paumé.

En décembre, ses managers décident alors de l’emmener pour quinze jours à Los Angeles. À la fois pour se ressourcer, se changer les idées, et relancer le processus. La tactique est payante. Sur place, le Bruxellois retrouve l’inspiration et surtout le plaisir de composer.  » En partant, je n’étais pas du tout certain de pouvoir surmonter cette épreuve. Mais dès qu’on est arrivés sur place, je respirais, et je m’amusais à nouveau. Los Angeles a un truc très inspirant, tout le côté nature, le soleil, etc. Même quand vous vous retrouvez coincé dans les embouteillages, c’est une expérience. Les boulevards sont énormes, les paysages sont fous. C’était d’ailleurs marrant parce que, pour avoir saigné le jeu GTA 5 , je reconnaissais tous les bâtiments et les rues par lesquelles on passait » (rires).

Sur la côte Ouest, Hamza reprend le fil et trousse en quelques jours tout le squelette de l’album.  » C’était assez sportif. On démarrait à midi pour bosser jusque 20 heures. Là, je faisais une pause pour reprendre à 22 heures et terminer le lendemain matin, vers 6 heures. » En rentrant à Bruxelles, le SauceGod, comme on l’appelle, est rassuré. Il l’a échappé belle.

Pour s’en sortir, il a pu compter sur sa garde rapprochée. Elle est composée notamment d’Oz, vieux briscard du rap game belge, boss de la machine à hits Street Fabulous; du fidèle Nico Bellagio; et de Ponko, producteur incontournable, omniprésent sur Paradise.  » On vient tous de BX, ça a l’avantage qu’on se capte tout de suite. Un Parisien, on a beau dire, c’est pas la même chose (rires ). « Je fais semblant, hein, mais je te comprends pas, frère » » (rires ). C’est un peu le paradoxe d’un parcours comme celui d’Hamza: ouvert à l’international, mais fonctionnant en cellule fermée.

Paradis d' enfer

Danger de noyade

Varié, Paradise n’est pas pour autant un disque autarcique. Cette fois, les invités ne manquent pas, par exemple. Mais même quand Hamza convie son pote marseillais SCH, il réussit à le ramener des tours d’Aubagne aux rues de Bockstael (le morceau HS).  » J’habite toujours dans le quartier. Le soir, vous pouvez encore me croiser avec les mêmes personnes avec qui je traînais il y a cinq ans. En vrai, je n’ai pas changé. » Plus loin, Hamza chante également pour la première fois avec une voix féminine, celle de la star r’n’b du moment, Aya Nakamura. Mais là encore, il zappe le tube afro potentiel pour dégoupiller un morceau en deux parties ( Dale/Love Therapy).  » C’était la seule qui pouvait assumer un titre comme ça. »

Le vrai « momentum » pop arrive en toute fin de disque. Minuit 13 reprend le tube eigthies Everybody’s Got to Learn Sometime, des Korgis.  » Je me suis rappelé du morceau en regardant ce film avec Jim Carrey, Eternal Sunshine of the Spotless Mind ». À ses côtés, c’est… Christine & The Queens qui reprend le célèbre refrain, pour un titre qui résume peut-être encore mieux que les autres la genèse compliquée du disque.  » Minuit 13, dans le noir comme les autres soirs« , avoue Hamza. À l’image de la pochette, le rappeur se noie. Le titre, calligraphié en arabe, annonce le paradis. Mais pourtant, Hamza plonge et s’enfonce.  » C’est exactement ça. Je suis dans le néant, entre la vie et la mort, la tête sous l’eau. Un peu comme dans un cauchemar, j’essaie d’appeler à l’aide, mais je n’y arrive pas, rien ne sort. » On lui demande pourquoi. L’espace d’une seconde, il paraît décontenancé par la question.  » Peut-être parce que de toutes façons, personne n’entendra… Souvent les gens pensent que quand vous êtes un artiste et que vous avez du succès, tout roule. Mais ce n’est pas aussi simple. Je suis comme tout le monde. J’ai parfois des moments d’angoisse, de dépression. Et quand ça arrive, vous n’osez pas toujours demander un coup de main. Précisément parce que vous êtes censé aller bien. »

Il ne faut pas trop compter sur Hamza pour tirer sur la corde de l’artiste tourmenté. Pour le même prix, il préférera reprendre une lampée d’Hennessy. Mais tout de même. Toujours dans Minuit 13, il glisse encore:  » Devenir meilleur, j’essaie/Tous les jours le Diable m’essaie« , juste avant qu’Oxmo Puccino ne vienne jouer les sages, évoquant  » le dernier jour d’une courte vie« ,  » cet instant que l’on craignait tant, où l’on doit faire face à ce qu’on pensait faire de bien ou de mal« . Un autre genre de prédicateur…

Hamza, Paradise, distribué par Warner. En concert le 22/11, au Palais 12, Bruxelles.

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Le Motif
Le Motif

Mélodies en sous-sol

Rappeur, beatmaker, topliner, Hamza cumule les casquettes. Mais c’est certainement cette dernière qui lui convient le mieux. Comment la définir?  » En gros, le topliner est celui qui fabrique la mélodie, résume l’intéressé . Il reçoit un instrumental et cherche des lignes vocales à greffer dessus. » Sa méthode?  » Je me place devant le micro, j’envoie la prod’, et j’improvise. Ça vient assez naturellement, c’est assez inexplicable. Même quand j’étais bloqué, que je ne savais pas trop où aller pendant l’enregistrement, c’était là. C’est comme si tous les trucs que j’ai pu écouter auparavant avaient créé une sorte de boule de mélodies dans ma tête, dans laquelle je puisais inconsciemment. »

Ces dernières années, la fonction de topliner est devenue incontournable dans le rap. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps, le hip-hop a préféré s’appuyer sur des chanteuses r’n’b pour glisser un peu de miel mélodique dans les morceaux. Depuis la généralisation de l’autotune, la donne a toutefois évolué, et les rappeurs se sont mis plus volontiers à chanter eux-mêmes. Aux États-Unis d’abord, et plus récemment du côté francophone.  » En France, il y a une telle sacralisation du texte que ça a pris plus de temps pour commencer à s’en détacher« , explique Le Motif. De son vrai nom Olivier Lesnicki, le Belge sait de quoi il parle. Topliner de l’ombre, il a démarré aux côtés de sa soeur, la rappeuse Shay (le morceau PMW), avant de se retrouver crédité sur des tubes comme Réseaux de Niska, ou Mobali de Siboy.  » Une topline, c’est un yaourt. C’est une mélodie sans texte, chantée en alignant juste des syllabes. Elle permet de poser les notes et de préciser l’intention que l’on veut mettre dans le morceau. »

Au grand jour

La principale qualité du topliner?  » Il doit forcément avoir un sens de la mélodie. Mais il faut aussi qu’il soit sur la balle, qu’il suive tout ce qui se passe dans la culture et dans les charts. » Mercenaires des hit-parades, les topliners scrutent les classements et les plateformes, analysant en direct les tendances qui fonctionnent le mieux. À eux de fournir le prochain gimmick qui va faire mouche.  » Le boulot de topliner s’est popularisé en même temps que le rap est devenu mainstream. En gros, les rappeurs n’ont plus le temps de tout faire eux-mêmes. Entre les concerts, les interviews, les clips, les réseaux sociaux, ils ont souvent des agendas de malades. Résultat: quand ils rentrent en studio, il faut que le boulot soit déjà en partie prémâché. » Cette pratique n’a pas toujours été facile à admettre.  » Les premiers contrats que j’ai signés l’étaient en tant qu' »anonyme »« , rigole Le Motif. Aujourd’hui, toutefois, plus personne ne semble s’offusquer. Le boulot de topliner n’est plus caché, il est même célébré.  » Un rappeur comme Lacrim, par exemple, explique clairement que son but est de faire les meilleurs morceaux possibles. Et si ça nécessite la participation d’un topliner, il ne voit pas de problème à ça. Booba ne fait pas vraiment non plus de mystère sur le sujet. » Même constat sur la scène ricaine, où le public a manifestement complètement intégré la donne.  » Quand Drake a été accusé par Meek Mill de faire appel à des « ghostwriters », ça ne l’a pas empêché de rebondir avec des tubes comme God’s Plan . » En septembre dernier, la premier a d’ailleurs invité le second sur scène pour enterrer la hache de guerre…

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