LOIN DU PARADIS. AMOUR OUVRE LA TRILOGIE QUE CONSACRE ULRICH SEIDL AU PARADIS. UN FILM GRINÇANT ET SECOUANT, REVISITANT LES RAPPORTS NORD-SUD À LA LUMIÈRE DU TOURISME SEXUEL.

DE ULRICH SEIDL. AVEC MARGARETHE TIESEL, PETER KAZUNGU, INGE MAUX. 2 H. SORTIE: 09/01.

Réalisateur venu du documentaire, Ulrich Seidl s’est imposé, de Hundstage en Import/Export, comme le tenant d’un cinéma radical, passant au scalpel la société autrichienne comme le mouvement du monde. Avec Paradies: Liebe (Paradis: Amour), le cinéaste viennois s’attaque à son « grand-oeuvre », puisqu’il s’agit là du premier volet d’une trilogie consacrée au paradis -les épisodes suivants ayant trait respectivement à la Foi et à l’Espoir-, le tout envisagé à travers le portrait de trois femmes en quête maladive de bonheur.

L’héroïne de Liebe s’appelle Teresa, elle est éducatrice et mère d’une ado mollassonne, et trimballe sa cinquantaine tendance flasque dans un horizon que le terme morne ne dépeint qu’imparfaitement. Moment où elle décide de s’arracher au marasme de son quotidien autrichien et de rompre avec sa solitude affective le temps d’un voyage organisé dans un paradis exotique. Direction un village de vacances du Kenya où, en quête désespérée d’amour, la naïve Teresa va multiplier les aventures avec les « beach boys » du cru, pour aller aussi sûrement de déception en désillusion. Et venir grossir les rangs des « sugar mamas », des Occidentales flétries achetant les services sexuels de jeunes Africains, ces derniers trouvant pour leur part dans ce commerce le moyen d’assurer leur subsistance…

Un bain acide

En matière de voyage de plaisance, c’est à un bain acide que convie Seidl. Comme souvent chez le réalisateur, le trait se veut en effet féroce voire assassin. Ainsi, en particulier, de la première partie du film qui, s’ouvrant sur une scène d’anthologie, sature l’écran d’humour à froid pour poser les contours d’un environnement autrichien glaçant, avant de hacher menu les clichés en une succession de plans hallucinants, après que le groupe de touristes, suintant l’opulence et la condescendance rance, a débarqué dans son éden kenyan présumé. Le tout, asséné avec l’apparence d’une monstrueuse neutralité.

Grinçant, le propos est aussi éloquent, Liebe brassant une problématique ample avec une lucidité cruelle, revisitant les rapports nord-sud à la lumière du tourisme sexuel. Une réalité sur laquelle Seidl pose un regard sans fard, maintenant obstinément le cap jusqu’à susciter plus encore que l’inconfort, le malaise. Mais s’il y là une chronique secouante du désenchantement contemporain, tant l’aveuglement de sa protagoniste centrale (extraordinaire Margarethe Tiesel), noyée dans un océan de cynisme, qu’un dispositif un brin complaisant semblent aussi avoir pour résultat d’enfermer Paradies: Liebe dans une mécanique de surenchère répétitive et bientôt laborieuse. Un sentiment que ne suffit pas à tempérer un final reposant les enjeux du film dans un mouvement d’une lumineuse simplicité.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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