Pac-Man a soufflé ses 40 bougies : flashback sur cet icone d’arcade

Masaya Nakamura, président de Namco, tout sourire. Pac-Man a rapporté au label 12,85 milliards d'euros 40 ans. © Bettmann Archive

Icône qui a décloisonné le public masculin du jeu vidéo, Pac-Man avale tout sourire ses 40 ans. Dissection d’un one-hit wonder inspirant notamment la recherche académique.

Longs cheveux parfaitement lissés, barbe impeccable, cravate flanquée d’un drapeau US. Crânant et posant face à la caméra, Billy Mitchell commente volontiers sa méthode pour négocier des virages à 1/160e de seconde, plus de 29 000 fois d’affilée, sur Pac-Man. L’inénarrable champion des salles d’arcade qui aurait pu jouer dans un film des frères Coen affirme être le meilleur au monde sur le hit de Namco. Après tout, Masaya Nakamura, le président du célèbre label gaming lui a remis le trophée du « joueur du siècle », en grande pompe, il y a 21 ans. Mais depuis le documentaire The King of Kong: A Fistful of Quarters en 2007, ce gérant d’un diner de poulet frit enflamme les débats sur les réseaux sociaux où on le soupçonne de triche. L’affaire qui connaît (encore!) aujourd’hui un épilogue devant les tribunaux prouve qu’on ne rigole pas avec une icône de la pop culture. Fût-elle lisse, jaune et souriante.

Vendredi dernier, Pac-Man fêtait son 40e anniversaire en ronflant tranquillement sur un matelas de 12,85 milliards d’euros de revenus estimés depuis son lancement. La figure archétypale du jeu vidéo qui a nourri une pléthore de projets de recherches académiques les mérite. Car son gameplay tourne toujours comme une horloge suisse. Avaler toutes les pastilles d’un labyrinthe en évitant des fantômes peut, certes, paraître réducteur, mais l’intelligence du comportement des adversaires relevait de la sorcellerie en 1980. Mieux, le jeu d’arcade se ponctuait alors de revirements de situation poussant à la prise de risque inconsidérée. Qui n’a jamais péché par excès de confiance en étant temporairement invincible face aux spectres colorés du jeu?

Essayer d’avaler un maximum de billes dans une zone jouxtant une pastille d’invincibilité, ou encore, bien gérer la téléportation d’un bord latéral à l’autre de l’écran. La création de Toru Iwatani induit des stratégies passionnantes pour qui veut caler un high score. Mais cette finesse ludique n’est pas la seule raison expliquant l’accession de la boule jaune au rang d’emblème. À la fin des années 70, Iwatani, aidé pendant 18 mois d’une dizaine de développeurs (un investissement inhabituel à l’époque), voulait en effet dès le départ extirper le jeu vidéo de son carcan masculin.

Non-violent et sans mort d’adversaire (son créateur était un pacifiste soixante-huitard convaincu), Pac-Man avançait donc à contre-courant des jeux de sport et de guerre (comme Space Invaders) dominant les salles de l’époque. Cette volonté de vulgarisation – reprise plus tard par la Wii de Satoru Iwata chez Nintendo – se doublait d’une autre nouveauté clef: l’apparition d’un personnage auquel le public pouvait s’identifier. Avec sa forme simplissime, immédiatement reconnaissable, Pac-Man avance d’ailleurs comme l’archétype de la mascotte gaming. Ce rond abstrait a, pour la petite histoire, été imaginé lorsqu’Iwatani, attablé à un restaurant, s’était rendu compte que tout le monde adorait la pizza …

De l’indigestion au bon goût

Invité sur des blockbusters contemporains comme le dernier Super Smash Bros Ultimate, Pac-Man et ses pérégrinations tout en corridors s’inspirent des flippers. Le jeu illustre aussi la passion d’Iwatani pour la contre-culture US des années 60. Hélas, de La chanson de Pac-Man par William Leymergie en 1982 aux plus récentes errances d’Adam Sandler sur Pixels en 2015, son influence sur la pop culture ne brille pas. La mascotte déclinée entre céréales et brosses à dents a plutôt marqué l’Histoire en inaugurant le concept de merchandising gaming de masse.

À contre-courant de son époque, Pac-Man était non-violent et sans mort d'adversaire.
À contre-courant de son époque, Pac-Man était non-violent et sans mort d’adversaire.

Côté gamers, la centaine de déclinaisons du gameplay de base ne réjouit pas plus depuis 40 ans. Des jeux de plateforme, courses de kart et un passage à la 3D boiteux témoignent ainsi d’une difficile reconversion pour ce one-hit wonder. Mais des curiosités existent. On citera entre autres Pac-Man 2: The New Adventures, un point & click sur Super NES dont le gameplay se jouait de l’état dépressif de la boule jaune. Mais aussi Pac-Man 256, qui callait au bas de ses labyrinthes une marée montante de glitchs(1). Sans oublier PacMan de Berick Cook, une version indé se vivant comme une expérience divinement hantée et poisseuse.

Cité par l’humour situationnel et ravageur du Chuchel d’Amanita Design ou inspirant directement les retournements de situation de Rain World, Pac-Man n’a au final jamais connu de suite digne de ce nom. Mais son statut iconique tire la science vers le haut. Ces deux dernières décennies, un nombre incalculable de projets de recherche académique l’exploite ainsi comme un vecteur facilement identifiable. En 2004 dans les rues de New York, Pac Manhattan se présentait par exemple comme le premier jeu vidéo de géolocalisation au monde. De quoi comprendre facilement le concept alors très abstrait du géocatching. Et aussi, inspirer Pokémon Go, qui popularisera à son tour la réalité augmentée grâce à Pikachu et compagnie.

Robotique, biologie, sociologie et psychologie comptent parmi les matières où Pac-Man excelle. Ken Schweller, chercheur en science cognitive et en psychologie expérimentale à l’université de Buena Vista (Iowa), a ainsi prouvé l’intelligence des bonobos en montrant que certains d’entre eux jouaient sans mal au classique d’arcade. De son côté, l’intelligence artificielle du Q-network (DQN) de Google DeepMind apprenait par lui-même à jouer à Pac-Man il y a cinq ans. En pleine révolution, le monde de l’IA voyait enfin Nvidia lâcher un algorithme capable de redévelopper seul le jeu de A à Z simplement en l’observant.

Ce dernier tour de passe-passe brandi à l’occasion du 40e anniversaire de Pac-Man se complète d’autres événements parmi lesquels le lancement d’un énième nouveau jeu: Pac-Man Live Studio, par Bandai Namco avec Amazon. Au-delà de cette nouvelle version à pratiquer en multi, directement en ligne sur Twitch, on retiendra enfin la possibilité d’y créer ses labyrinthes et de les partager dans la veine de Super Mario Maker ou de Dreams. Une initiative de plus consolidant la postérité d’un jeu acquis il y a six ans par la collection permanente du MoMA de New York.

(1) Un hommage au 256e niveau du jeu qui buggait au fil d’un vortex fascinant de lettres et de chiffres incohérents envahissant l’écran.

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