INADÉQUATIONS – AVEC OP OLOOP, L’ARGENTIN JUAN FILLOY SIGNAIT EN 1934 UN ROMAN IRRÉSISTIBLE À LA VIRTUOSITÉ HILARANTE ET AU RÉALISME ALLUSIF. AUJOURD’HUI EXHUMÉ.

DE JUAN FILLOY, ÉDITIONS MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE, TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ARGENTINE), 237 PAGES.

Pour Op Oloop,  » les femmes sont des automates de champ de foire. On met vingt sous dans la fente et on voit la vie en rose »; la cuisine initie l’homme « à la science insigne qui élève l’estomac au rang du cerveau: la gastrosophie et pour avoir la conscience propre, il faut en expulser les concepts et les discours nauséabonds ». Ecrit en 1934 déjà par Juan Filloy, écrivain argentin avant-gardiste admiré par Cortázar et Borges, le curieux objet littéraire Op Oloop vient d’être redécouvert et traduit par les défricheuses éditions Monsieur Toussaint Louverture. L’occasion de réaliser enfin la véritable portée de ce roman qui reçut les louanges de Freud mais fut interdit de publication à Buenos Aires pour atteinte à la morale et aux bonnes m£urs et que d’aucuns n’hésitent pas à comparer à un Balzac.

Si vous consentez à vous perdre dans les méandres des logorrhées philosophiques d’Optimus Oloop, protagoniste pourfendeur des idées reçues, vous ressentirez un plaisir jubilatoire qui ne vous quittera plus jusqu’à la fin du roman. La recette? Intelligence, cynisme, sensibilité, audace cérébrale, érudition et un bouquet de facéties.

Si vous acceptez pour interlocuteurs Platon, Diderot, Proust, Bacon ou encore Nietzsche et que vous êtes doublé d’un amoureux des chiffres, vous êtes le compagnon idéal pour suivre Op Oloop dans  » les terres inconnues de l’abstraction« . Car le protagoniste méprise les personnes  » dont le cerveau se situe à l’orée du sillon interfessier ». Op vous conduit durant une vingtaine d’heures dans un tourbillon d’événements affolants depuis le bain turc jusqu’au bordel de luxe en passant par un banquet pantagruélique où 7 invités se disputent,  » telles sept variations orchestrales autour du thème central du cynisme ». Op y aborde tous les sujets: amitié, guerre, prostitution, corruption diplomatique, justice qui, tous, se réfèrent, selon lui, à des lois mathématiques. D’ailleurs, il collectionne les femmes dans le seul but de pouvoir établir un fichier:  » la « possession » charnelle est devenue statistique », « ses » mille filles  » constituent un matériel scientifique permettant d’effectuer une quantité phénoménale d’analyses et de déductions ». Pour lui, l’amour est « triphasé »: l’épouse, l’hétaïre et la « dictériale » du lupanar. En tant que statisticien finnois, établi à Buenos Aires dans les années 30, il a le chiffre dans le sang, persuadé que l’on peut vivre en ne fréquentant que des « unités de chair ». Malheureusement lorsqu’Op découvre « l’unité spirituelle », son monde ordonné s’écroule, ses habitudes enracinées volent en éclats; il devient le jouet de ses émotions incontrôlables. Et celles-ci ne peuvent être chiffrées. Folie convulsive et désastre pour cet inconditionnel du chronomètre car l’amour est fait d’une grande tristesse quand la tête est pleine de savoir et de discipline.

Roman éblouissant non seulement par son esthétique stylistique mais aussi par la supériorité de ses idées corrosives, Op Oloop est un livre incontournable pour tout lecteur en perte de lumières. l

MARIE-DANIELLE RACOURT

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