NULLE AUTRE SCÈNE NE SYMBOLISE MIEUX PARIS QUE L’OLYMPIA. PLUS D’UNE FOIS MENACÉE, LA SALLE CONTINUE DE FAIRE RÊVER, LES GROUPES FANTASMANT LEUR NOM AFFICHÉ EN NÉONS ROUGES. « J’ME VOYAIS DÉJÀ… »

Métro Opéra. A peine sorti des entrailles de Paris, le touriste se prend le Palais Garnier en pleine figure. L’endroit affiche haut et fort son prestige, façade d’apparat toujours impressionnante avec sa coupole verte gardée par des statues dorées. La grande culture, Mesdames, Messieurs, avec tout ce qu’elle peut avoir d’intimidant. Un peu plus loin, un autre temple des arts. Nettement plus modeste celui-là, plus chapelle que cathédrale.

Certaines salles s’imposent par leurs dimensions ou leur architecture spectaculaire: Boulevard des Capucines, dans le IXe arrondissement, l’Olympia n’a besoin que d’une façade. Et d’une simple typographie. Les fameuses lettres rouges. En ce mois de mai, « Une soirée avec James Taylor et ses musiciens », annonce le fronton probablement le plus célèbre du monde, avec celui du Radio City Hall de New York…

Une vie en montagnes russes

Paris est un musée en plein air. Au n°26, « Mistinguett, gloire du music-hall, habita cet immeuble de 1905 à 1956 ». Juste à côté, au n°28, l’Olympia a droit également à une plaque indiquant ses principaux éléments biographiques. Normal: l’endroit est classé aujourd’hui monument historique, après avoir frôlé plus d’une fois la destruction. Dans les années 90, la salle faillit même se transformer en parking… Cela doit être ça, la vie de bal populaire, de boîte à musiques. Des hauts et des bas. Le destin en montagnes russes. Au départ, l’Olympia n’était d’ailleurs pas autre chose.

En 1888, Joseph Oller, un entrepreneur d’origine catalane, installe un grand huit sur ce qui est encore un terrain vague. Une attraction foraine que la préfecture de police finit par fermer: officiellement, les autorités craignent un incendie qui aurait vite fait de consumer la structure en bois. Entre-temps, Oller a fondé le Pari Mutuel d’un côté, le Moulin rouge de l’autre… Des paris sur le chevaux et les froufrous du French cancan… There is no business like show business, et Oller enfonce le clou en transformant bientôt ses montagnes russes en salle de spectacles.

Quelques années auparavant, en 1863, Manet avait fait scandale avec son tableau Olympia, un nu de courtisane langoureusement allongée qui ne se cachait pas derrière les habituelles figures mythologiques. Modernité et modèles de la rue: en baptisant sa salle Olympia, Oller n’avait peut-être pas forcément cela en tête (mais plutôt le décor d’une « Olympe vue à travers la lorgnette de Meilhac et Halévy -400 m2 d’Offenbach à l’aquarelle »), mais dans les faits, l’Olympia combinera toujours les deux. Le lieu se la jouera souvent bal popu, mais amènera aussi régulièrement de nouvelles têtes au centre des projecteurs. L’endroit est inauguré le 12 avril 1893. Au programme, la Goulue, célèbre danseuse de cancan de Montmartre, née Louise Weber, et qui aurait très bien pu servir de modèle à Manet (elle le sera pour Lautrec).

A cette époque, la concurrence fait rage dans le milieu. En 1900, par exemple, la rivalité entre Oller et Albert Chauvin passe au stade de guerre ouverte. Chauvin a lui aussi lancé ses propres paris hippiques et possède notamment le Trianon. Cette année-là, tout le monde s’y presse pour voir le nouveau spectacle du transformiste Fregoli, qui vient de triompher à Londres. Le 18 février, le Trianon est cependant la proie des flammes: tous les décors et les 200 costumes de Fregoli partent en fumée… Les soupçons d’un incendie criminel ne tardent évidemment pas à naître. Surtout qu’Oller propose à Fregoli d’occuper l’Olympia, jurant de pouvoir recréer tout son barnum en une dizaine de jours. Pari tenu. Le transformiste y jouera pendant 7 mois, à guichets fermés…

L’ère Coquatrix

L’Olympia est alors lancé. Mais pas pour très longtemps. Premier coup d’arrêt en 1929, quand la crise économique a raison de la salle de music-hall. A ce moment-là, par contre, le cinéma est en pleine explosion (les premiers films parlants font leur apparition). Avant de créer le Grand Rex, le producteur Jacques Haïk devient alors le propriétaire de l’Olympia et le transforme en immense cinéma.

Ce n’est qu’en 1954 que la salle repliera le grand écran. Deux ans auparavant, la veuve de Jacques Haïk a signé un bail avec Bruno Coquatrix. L’homme a du bagout et a pris l’habitude de multiplier les casquettes: agent, compositeur, producteur, il gère aussi la Comédie Caumartin, un peu plus loin sur le Boulevard des Capucines. En reprenant l’Olympia, il va lui donner ses contours définitifs, ceux qui achèveront en tout cas de créer sa légende. Après avoir encore fait tourner le cinéma pendant deux ans, il programme sa première affiche music-hall le 5 février 1954. Au programme, Lucienne Delyle, éternelle interprète de Mon amant de Saint-Jean, et, en première partie, un jeune inconnu, Gilbert Bécaud. La suite est un enchaînement de coups de poker et de flair incroyable. De roublardise aussi. Quand Mr 100 000 volts revient un an plus tard en vedette, les fans déchaînés détériorent les fauteuils de la salle. Une petite dizaine pas plus. Mais Coquatrix sent le coup de pub, et va chercher dans la remise une série de sièges déjà usagés qu’il ajoute au milieu de la cour. La presse n’a plus qu’à prendre la photo…

Mais l’Olympia, c’est aussi et surtout Edith Piaf. En 55, elle y donne un premier concert qui la sort un temps de ses problèmes. Elle ne l’oubliera pas. En 61, elle vient à son tour au secours de la salle, en proie aux difficultés financières, et y crée Je ne regrette rien. Les autres géants de l’époque se succèdent: Brassens, Ferré, Aznavour, Brel… Le programmateur Jean-Michel Boris, neveu de Coquatrix, fait également de la place pour la génération yéyé, les Beatles y faisant leur première apparition aux côtés de Sylvie Vartan, en 1964.

Quasi 50 ans plus tard, l’Olympia est toujours là, à l’identique. Sa façade et ses lettres rouges continuent de fasciner. Au niveau de la rue, un long et large couloir amène vers la salle, alignant les affiches des prochains spectacles. Dans un coin, une maquette de l’intérieur de la salle. « Vu de la scène. «  Une fois, une seule, on a eu l’occasion de la fouler. C’était en 2008. Le Focus avait pu suivre les Girls In Hawaii lors de leur concert parisien. Le velours rouge, la rumeur du public dans la salle, l’arrivée du groupe sur scène… « Noir salle, ouverture rideau! » Planté dans les coulisses, on avait pu encore le constater: le mythe Olympia fonctionne toujours.

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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