Olivier Masset-Depasse
Duelles, son troisième long métrage, voit le réalisateur de Illégal se frotter au thriller psychologique, dans un troublant film de femmes convoquant Alfred Hitchcock comme Douglas Sirk…
Cages, puis Illégal: le cinéma d’Olivier Masset-Depasse s’est toujours décliné essentiellement au féminin. Il n’en va pas autrement aujourd’hui de Duelles, son troisième long métrage ( lire notre dossier et notre critique en page 14), une adaptation du roman Derrière la haine de Barbara Abel. Soit, au coeur des sixties et dans le cadre cosy de villas jumelles, la troublante confrontation entre Alice et Céline -Veerle Baetens et Anne Coesens-, meilleures amies doublées de mères de famille dont la complicité va être rattrapée par une tragédie, les ténèbres se refermant inexorablement sur leur monde de faux-semblants. » L’instinct maternel me fascine, parce que c’est comme un super-pouvoir, pose le réalisateur . En interviewant des femmes qui avaient traversé la Méditerranée pour Illégal , j’avais été sidéré par cette force incroyable. Après en avoir exploré la partie positive, j’ai voulu cette fois aller dans le côté sombre de ce sentiment. À la lecture du livre, je me suis dit « bingo, c’est ça! ». »
Casser l’autocensure
Cohérente, la filmographie d’Olivier Masset-Depasse traduit aussi un souci évident de se renouveler. Si Illégal était inscrit dans l’urgence d’une réalité sociale, abordant la question des clandestins, Duelles lorgne aujourd’hui ouvertement vers le cinéma de genre. « Je voulais un film très différent, observe-t-il. Quand tu fais un film sur les sans-papiers ou sur l’ETA ( Sanctuaire, tourné en 2015 pour Canal+, NDLR), tu es presque journaliste, tu vas dans l’investigation sur le terrain pour ne pas raconter de conneries, et c’est clair que les sujets prennent beaucoup de place. Je voulais revenir à quelque chose de plus « réalisateur », et me confronter au thriller. Le film d’auteur est en péril aujourd’hui et je pense que la façon de s’en sortir, c’est par le cinéma de genre. J’ai trouvé le potentiel qui m’intéressait dans le roman de Barbara Abel parce que c’est un thriller, mais sans cesse alimenté par le drame humain. » L’exercice vaut, au passage, au cinéaste de réviser ses classiques, Duelles convoquant l’esthétique d’un Douglas Sirk, chez qui le (mélo)drame le plus sombre adopte des contours étincelants, relevée d’un parfum hitchcockien, sans qu’il y ait là rien d’un hommage scolaire pour autant. On serait plutôt enclin à y trouver l’expression d’une évidente maturité artistique ( Chambre froide, son premier court métrage, remonte à 2000), condition d’une confrontation constructive avec les maîtres. « Il fallait une maturité pour casser l’autocensure, soupèse-t-il. Je viens d’un milieu assez populaire. Même si j’ai toujours eu 20/20 en Histoire du cinéma et que je suis un très grand cinéphile depuis mes quinze ans, je suis toujours resté un « populaire ». Je suis conscient qu’on va me reprocher d’avoir fait un film « à la manière de ». Mais si on y regarde de plus près, au niveau de la réalisation en tout cas, ce n’est pas du tout comme Hitchcock. J’ai mes influences hitchcockiennes, après, mon maître aujourd’hui, c’est Paul Thomas Anderson. Moi, petit cinéaste de quartier, qu’est-ce que je peux faire comme lui en Belgique? C’est assez tortueux… » Voire… Duelles s’avère, en tout état de cause, réussi, maniant habilement l’art du contrepoint esthétique, et réussissant à conjuguer émotions et moments sensoriels au fil de sa narration sinueuse. Non sans assumer crânement un héritage anglo-saxon -Masset-Depasse revendique encore l’influence générique du Nouvel Hollywood, avec ses auteurs au service de films accessibles- mêlé à une identité européenne, en quelque hybride concluant.
L’on y verra aussi l’aboutissement d’un lâcher-prise que le réalisateur appelle de ses voeux, lui qui porte un regard sans complaisance sur le cinéma belge. « Les francophones ont été conditionnés par le cinéma français, pour le meilleur et pour le pire -et aujourd’hui, ça tend de plus en plus au pire. La logique flamande est décomplexée, et le cinéma francophone peine par rapport à ça. Il est beaucoup plus attaché à la France, alors que les Flamands ne se posent pas la question par rapport aux Néerlandais, ils ont cette force qui leur a permis de se développer. Il faut voir les bonnes choses chez les autres, mais se décomplexer. Le cinéma français est en train de mourir, il faut arrêter de croire à leurs mirages et au principe de l’assisté… » Conséquent, Masset-Depasse a préféré à une distribution qui aurait apparenté Duelles à un film français un casting belgo-belge réunissant Anne Coesens, sa muse de toujours, et Veerle Baetens, la star (flamande) de The Broken Circle Breakdown ou autre D’Ardennen, histoire aussi, accessoirement, de se positionner à l’international.
Tant qu’à joindre les actes à la parole, et à la jouer « décomplexé », le cinéaste s’apprête par ailleurs à tourner le troisième volet de Largo Winch, « un film d’action, pour le coup français ». « Mais une petite prostitution de temps en temps, ça ne fait pas de mal (rires). Non, ce n’est pas ça, je le fais comme un film d’auteur. Je me suis basé sur les bouquins de Jean Van Hamme, mais c’est mon propre scénario, et on est partis ailleurs. Je le prends comme un artisan qui arrive et propose sa vision, je n’ai pas du tout l’impression de faire une commande. Enfin si, mais je suis à 70% responsable de la chose… » Avant, peut-être, de s’atteler au remake américain de Duelles que produirait Jessica Chastain. C’est dire si, à 47 ans, l’avenir lui appartient…
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