Of Montréal

Priors, l'un des groupes phares de la scène rock montréalaise. © Lynn Poulin

Avec Corridor, Priors ou encore Pottery, la deuxième ville la plus peuplée du Canada a trouvé la relève des Suuns, Ought et autres Arcade Fire. Promenade en ville…

Un mardi soir. Fin août. Le Plateau-Mont-Royal. C’est là, à deux pas de chez lui, dans un quartier jadis peuplé d’ouvriers où l’on pratiquait l’élevage et l’agriculture, que Chance Hutchison a fixé rendez-vous. Aujourd’hui, le Plateau est un coin prisé et un haut lieu de la vie culturelle et nocturne montréalaise. Une espèce de Brooklyn à la coule. Un repaire aussi pour une scène musicale en ébullition. Chance est le chanteur de Priors, sans doute le meilleur groupe punk de la ville. Une tornade aux mélodies catchy et au chant bien dans ta gueule. Ce soir-là, le sympathique moustachu invite à prendre l’apéro chez son batteur. Extraits de l’album à venir (sortie prévue début 2020) et calumet de la paix (en vente légale) pour entamer la soirée… Chance veut aller faire un tour à l’Escogriffe, l’un des bars rock du coin. Avec le Quai des Brumes, peuplé de vieux habitués, et La Rockette, plutôt en mode club, juste à côté, c’est un peu le triangle des Bermudes. Un lieu de perdition rock’n’roll…

Pottery
Pottery© Luke Orlando

Anglo-saxon, Chance vit depuis pratiquement dix ans à Montréal. Il est tombé amoureux de la ville alors qu’il s’y produisait avec Seconds to Go.  » On avait signé avec un gros label, Vagrant, et enregistré un disque à Los Angeles. C’était un projet émo, skate punk… On avait tourné avec Face to Face et My Chemical Romance. On n’avait pas 20 piges. On jouait devant 3 000 personnes tous les soirs.  »

Lorsque le groupe a splitté et que ses potes sont partis s’installer à Toronto, Chance a opté pour la vie de bohème montréalaise.  » Un ami vivait ici, y passait du bon temps. Il habitait dans un petit loft merdique, bouffait ce qu’il pouvait, dormait où c’était possible. Ça ressemblait plus à un squat qu’à autre chose. » Les prix ont grimpé, Montréal s’est gentrifié, mais la ville reste un bon endroit pour les musiciens et les artistes en tous genres. Paul Jacobs, le batteur des nerveux Pottery, y a débarqué en 2014.  » Franchement, Montréal n’est vraiment pas cher. Tu ne dois pas travailler beaucouppour pouvoir payer le loyer de ton appartement. Donc on y bouge de tout le Canada. Notamment pour la musique. » Paul est originaire de Windsor, à la frontière des États-Unis, juste à côté de Detroit. Ses compagnons de route Austin et Jacob sont de la côte ouest, Vancouver et sa région. Tom, lui, est anglais.

 » Au-delà du coût de la vie, le gouvernement est vraiment dans la défense de l’art et de la culture, précise Chance. C’est possible dobtenir des aides pour tourner, pour enregistrer des disques… Tout ce à quoi tu peux penser, dis-toi qu’à Montréal, ça peut t’amener des subsides. C’est une partie de l’explication, j’en suis convaincu, du nombre de groupes que tu peux trouver ici. C’est aussi un phénomène culturel. Le live représente un pan important de la vie nocturne et il l’a toujours été. En Ontario, beaucoup d’endroits qui organisaient des concerts ont fermé. Il n’y a plus beaucoup d’espaces DIY. Même les petits bars n’existent plus. »

Chance Hutchison
Chance Hutchison

Quartier général

À Montréal, les salles et les lieux de live vont et viennent, ouvrent et ferment, mais il reste encore un tas de lieux où les groupes peuvent se produire.  » Au niveau punk, tu as des petits shows un peu partout. La Brasserie Beaubien, par exemple, a un côté CBGB (du nom du club mythique new-yorkais, NDLR). C’est un bar merdique où les bikers avaient tendance à glander. » Le groupe de son épouse, Pale Lips, a donné son premier concert dans un bouge du même type: le Bistro de Paris.  » À l’époque, peu de filles se retrouvaient dans un band sans mec dans les parages. Le Bistro n’organise rien, mais tu peux appeler et proposer d’y jouer. Ils vont accepter parce qu’ils savent que tu vas rameuter un peu de monde. Tu gardes les entrées en poche et eux se paient avec le bar. C’est le genre d’endroits où tu as très peu de monde en semaine. Dans le fond, ils ont leurs machines à sous. Des vieux passent leur journée à jouer et à boire. Tu as un juke-box. Rien d’autre ne s’y passe.  »

La Sala Rossa
La Sala Rossa

Quelque part entre le pub et la salle de concerts, l’Escogriffe est l’antre des groupes garage mais il s’est quelque peu diversifié tandis que le genre s’essoufflait.  » Ils en avaient fait leur maison mais ils ne sont plus si nombreux que ça en ville. Je pense à CPC Gangbangs, à mon ancien groupe Sonic Avenues ou encore à Red Mass, dont le chanteur Roy Vucino nous a permis de signer sur le label Slovenly. » C’est après avoir joué à l’Escogriffe que Paul Jacobs a décidé de se poser à Montréal.  » J’avais commencé à tourner en formule one-man-band. Ça me permettait de bouger et d’aller où je voulais sans dépendre de qui que ce soit. Je roulais, je m’arrêtais ici ou là pour donner des concerts. Quand j’ai joué à l’Esco, les gens étaient chauds et faisaient du crowdsurfing. Je me suis dit: je veux vivre ici. King Khan et BBQ étaient potes avec les boss. C’était tout petit. Le genre d’endroit où on fermait la porte, tirait les tentures et continuait à boire des coups après la fermeture. Ça a changé maintenant. Ils ont rénové. Ça ne sent plus la même odeur de pisse… »

L’Escogriffe, Cédric en est depuis quelques années l’un des patrons. Dans une autre vie, il était le chanteur des Marinellis, les Black Lips de Montréal. Après avoir fait dans le Saints, le Dead Boys et le Modern Lovers avec un anglais approximatif, il s’est mis au français, conseillé par Jimmy Hunt de Chocolat.  » J’ai écouté Dutronc et compagnie, appris à jouer avec les phrases, à placer et étirer les mots pour que ça sonne bien.  »

L’Escogriffe est ouvert tous les jours et organise cinq ou six concerts par semaine.  » Les groupes de rock’n’roll underground qui n’ont pas les honneurs des grandes salles passent par ici. Mais bon, on accueille aussi du rockabilly, de la new wave. Les labels investissent surtout dans les trucs à synthés. Les gens ont vieilli. On vit dans dans une autre époque… Même si je suis parfois surpris de voir des plus jeunes à des événements vraiment underground. »

Si les lieux de concerts ont des durées de vie limitées (le Poisson Noir et la Loudhouse ne sont plus), certains sont devenus de véritables institutions. Notamment la Sala Rossa, la Vitrola et la Casa del Popolo, tous situés boulevard Saint-Laurent et tous liés à Godspeed You! Black Emperor et au label Constellation. La « Maison du Peuple » ouverte en 2000 par Mauro Pezzente est à la fois un café équitable, un resto-bar et une galerie d’art.  » Suuns, Ought et Arcade Fire ont peut-être donné de l’espoir à certains musiciens du coin, reconnaît Chance. Mais si tu veux vraiment parler de trucs qui ont été importants pour la ville, tu dois, selon moi, te tourner vers Godspeed. C’est fou qu’ils ne soient jamais partis, qu’ils n’aient jamais arrêté. Beaucoup de gens en vieillissant finissent par en avoir marre et tout abandonner. »

L'Escogriffe
L’Escogriffe

DIY et business model…

Quand on lui parle de sa famille musicale à Montréal, Chance Hutchison évoque New Vogue, Phern, Pale Lips mais aussi BBQT, qu’il sortira bientôt sur Brain Gum Records… Un croisement sixties nineties, avec un côté girl group et antifolk. Chance a lancé son petit label et compte y sortir un ou deux disques par an. Jusqu’ici, il y a eu un 45 tours de Nobro désormais épuisé, un album de son groupe les Brat Kings ou encore Average Times…  » Il n’y a plus des masses de labels ici. Il y en a moins qu’avant en tout cas. Tu as l’institution Constellation bien sûr. Mais sinon, ce sont souvent des structures éphémères. Elles sortent leur truc et puis s’éteignent. J’ai l’impression que plein d’artistes lancent juste leur microlabel pour diffuser leur propre cassette. Perso, je veux continuer à sortir des disques encore et encore. Jusqu’à ma mort.  »

La Brasserie Beaubien
La Brasserie Beaubien

La cassette est à la mode aujourd’hui. Et encore plus à Montréal qu’ailleurs. Elles sont tellement peu chères que tout le monde s’y est mis. « duplication.ca fabrique des cassettes pour un tas de marchés et la société est basée ici, poursuit Chance. C’est vraiment facile. Je pense que les gens n’écoutent même pas. Ils ont juste besoin d’un vaisseau. C’est une oeuvre d’art pour accompagner la musique. Comme un souvenir.  »

Pentagon Black, un autre microlabel montréalais dirigé par Drew Demers, le batteur de Priors, et son comparse au sein des Famines l’illustrateur Raymond Biesinger, pousse le bouchon un peu plus loin: il sort des disques sur papier.  » Pas de cassettes, pas de vinyles. Juste un bout de papier. Ceci par exemple, c’est une compilation de groupes canadiens, précise encore Hutchison. Tu paies 1 ou 5 dollars et tu as cette oeuvre d’art avec un download code. Pour moi, c’est vraiment stupide parce que j’aime écouter des disques. Mais c’est une autre manière de donner accès à la musique. C’est quoi un label aujourd’hui si ce n’est quelqu’un qui a du goût et qui essaie d’aider les groupes à se faire connaître? »

Pottery n’a pas encore d’album à son actif et il a mis du temps à sortir No. 1, son premier EP. Quand il est arrivé chez les disquaires cet été, les chansons étaient enregistrées depuis deux ans…  » Jacob (Shepansky, chanteur et guitariste du groupe, NDLR) avait une espèce de business plan, explique Paul Jacobs. Il voulait attendre le bon moment, qu’on s’entoure d’abord correctement. Moi, j’ai toujours enregistré et sorti dans la foulée. Mais ça ne te mène nulle part. Parfois, il vaut mieux patienter. Je suis surtout heureux que la musique tienne encore debout après deux ans.  »

Of Montréal

Gentrification et barrière linguistique

À Montréal, même un petit arrêt chez le disquaire se transforme en improbable rencontre. Chez Paul’s Boutique, il y a Paul, le patron. De façade, l’établissement a l’air minuscule. Mais à l’arrière, dans l’immense garage, c’est la caverne d’Ali Baba. Une collection hallucinante de vinyles côtoie un paquet de jeux d’arcade. Paul porte la casquette, la petite moustache et le T-shirt The Sisters of Mercy. Dans ce garage où Hubert Lenoir est passé récemment tourner une interview pour un podcast australien, il organise des festivals comme le Carnaval du Black Friday et des événements en tous genres. Paul sait que le magasin de disques tel qu’on le connaît est voué à disparaître. Alors il diversifie. Il filme de petites vidéos pour amener du contenu, il a déjà aussi commencé à aménager l’étage qui traverse les âges: un mur tapissé par des 45 tours originaux des Beatles, une pièce qui rend hommage aux sorties des labels fondés par des magasins de disques montréalais…  » C’est dans la culture ici. Il y a eu Bunker Records (…Of Tanz Victims, Half Moon Dragster…) , Primitive Records (The Sherlocks, The Gruesomes, Les Incapables…). Rock en Stock a eu Banzai, spécialisé dans le metal. Moi, j’ai commencé dès 2004 en sortant le premier vinyle de Bloodshot Bill. » Dans son maga, Paul compte bien avoir une pièce dédiée à la musique du XIXe siècle. Il y vendra des instruments et des partitions. Paul peste sur la gentrification.

La Casa del Popolo
La Casa del Popolo

Chance la sent lui aussi pointer de plus en plus près le bout de son nez.  » Il y a un tas d’endroits où répéter. Le truc, c’est qu’on commence à les étrangler. Récemment, on nous a avertis qu’on pourrait être foutus dehors d’un espace qu’on occupe depuis sept ans. Tout ça à cause des appartements… Les promoteurs immobiliers veulent juste que des docteurs et des avocats habitent leurs bâtiments. Ils tiennent à éviter tout semblant de nuisance sonore.  »

Si Pottery ne devrait pas trop traîner avec son premier LP, Priors guère trop tarder avec son nouvel album, Cédric Marinelli a un nouveau projet sur le feu: Hippie Hourrah. Le disque devrait arriver pour le printemps.  » À la Velvet Underground, plus psyché, un peu de soleil, beaucoup de percussions. On veut tout finir pour décembre. On ne se voit pas souvent. On n’a plus 20 ans. »

 » Je pense qu’il y avait davantage de barrières entre les communautés musicales francophone et anglophone de la ville dans les années 90 et 2000 qu’aujourd’hui, termine Chance. On a pris Dates avec nous en tournée dans l’Ontario récemment. Elles chantent en anglais et en français et n’avaient jamais joué en dehors de la ville auparavant. Tu as aussi Corridor, Bleu Nuit… Il n’y a jamais eu autant de groupes de rock en français. Peut-être est-ce davantage accepté des Millennials. C’est une autre époque que la nôtre, une autre manière d’écouter la musique, de la découvrir. Avant, on n’aimait pas avant même d’avoir écouté. Les gens semblent davantage ouverts d’esprit aujourd’hui. Et ce à bien des points de vue. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content