Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’EX-RESCAPÉ JUNKIE DANIEL DARC LIVRE UN GRAND ALBUM POSTHUME QUI, LOIN DE SONNER MORBIDE, EXPLORE SON TALENT D’ACCIDENTÉ SENTIMENTAL.

Daniel Darc

Double CD « Chapelle Sixteen »

DISTRIBUÉ PAR SONY.

9

La première rencontre avec Darc date du début des années 90 lorsque la Chimay bleue lui fait le petit-déjeuner. Il tente l’alcool plutôt que l’héroïne, ce qui sera sa recette globale jusqu’au 28 février 2013, lorsqu’il overdose d’un mélange de médicaments et de bibine, à quelques mois de ses 54 ans. Croisé une paire de fois ces 20 dernières années, Darc était un cocktail assez rare d’ivresse et de sincérité, de gentillesse non feinte et de course assumée aux mythes de la littérature et du rock’n’roll. Sa gueule prématurément vieillie gardait les traces fusillées d’une jeunesse poseuse exposée au succès avec Taxi Girl et aux poudres du rock parisien. A condition de ne pas s’engluer au bar, le mec, même parfaitement raide -comme lors de cette interview aux Francos 2008-, restait touchant, d’une douceur vénéneuse célébrant quelques glorieux anciens à la Baudelaire.

Les Enfants

On est d’autant plus content que Darc nous envoie un (double) album d’outre-tombe que celui-ci échappe au fond de tiroir à vocation commerciale. Le producteur-compositeur Laurent Marimbert (impliqué dans le précédent La Taille de mon âme en 2011) est en studio avec Darc lorsque celui-ci meurt inopinément. Les onze morceaux terminés -et quatre autres complétés a posteriori- forment le premier CD de Chapelle Sixteen, écrin de grands moments. A l’instar du titre d’ouverture, Les 3 singes, prière vocale adressée au confident suprême, alors que les cordes jouent un requiem. Quel que soit le backing musical des chansons, il semble plus intense que sur aucun autre disque darcien: le rock’n’roll se lubrifie à haute octane (Une place au paradis, Sweet Sixteen), le funk offre sa croupe bien tendue (Un peu de sang),la ballade est forcément sépulcrale (Période bleue), sans pourtant jamais annihiler la mélancolie virale de son interprète. Qu’il rende hommage au Velvet (Que sont devenus les hommes)ou se souvienne de ses propres amours défaites (superbe La Dernière fois), Darc opère un travail intime, noueux et funambule sur la langue française. A l’image d’un corps rendu voûté par un parcours sans pitié: foutu mais sans faux-semblant, réservoir infini d’émotions limites. Deux titres sont exceptionnels: Des idiots comme moi -on ne peut faire plus triste- et Les Enfants, douze minutes sur le jeu hasardeux qui consiste à grandir dans ce monde. Marimbert accomplit un impressionnant travail d’arrangeur-producteur: il a également choisi de ne pas couper les apartés d’enregistrement, y compris sur l’attachant second disque, constitué de 14 maquettes de morceaux inachevés où Darc nous assure, par exemple, « que John Bonham est avec nous » (BonusLP12 Guitare Rock).Non: il est avec toi maintenant, Daniel, et il va falloir te démerder.

PHILIPPE CORNET

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