AVEC THE KING OF DEVIL’S ISLAND, MARIUS HOLST SIGNE UN DRAME PUISSANT, AU COUR DE LA RÉBELLION ADOLESCENTE FACE À UNE RÉPRESSION AVEUGLE.

Si son nom n’est pas inconnu des cinéphiles avertis, Marius Holst reste un cinéaste rare, n’ayant tourné qu’une poignée de longs métrages, à peine, en 17 ans. Soit, dans l’ordre, et au hasard des traductions, Croix de bois, croix de fer, réalisé en 1994, Dragonheart, sorti 7 ans plus tard, suivi de Blodsband en 2007, et, aujourd’hui, de The King of Devil’s Island -un film dont on reconnaîtra à son titre français, Les révoltés de l’île du Diable, le mérite de bien circonscrire le propos. Renouant avec sa thématique de prédilection, le réalisateur norvégien y retrace, en effet, le combat d’adolescents confrontés à l’injustice et à la violence, physique comme psychologique, du monde des adultes dans l’enfer de Bastoy, un centre de détention installé sur une île désolée.

L’histoire, où la rébellion rencontrera la répression aveugle, ne manque pas de secouer; elle est inspirée de faits réels, survenus à l’hiver 1915. « L’île de Bastoy est située à moins de 2 heures d’Oslo, et tout le monde, en Norvège, en a entendu parler. Le nom a une dimension pour ainsi dire mythique, explique le réalisateur, invité au festival de Gand. Enfant, j’en avais l’image d’un lieu interdit, mais bien présent, quelque part dans ma conscience. Plus tard, j’ai lu les récits de différents garçons qui y avaient été internés. Et lorsque j’ai découvert des informations au sujet de cette émeute, je me suis dit qu’il y avait là matière à un film. »

Constellation de thématiques

Bastoy a été ouvert avec le XXe siècle, afin de « venir en aide aux enfants négligés par leurs parents ». Mais si l’endroit avait une vocation éducative plutôt que répressive, la réalité des faits apparaît plus floue. Afin de l’approcher au plus près, Marius Holst a mené des recherches approfondies, ayant accès aux archives de l’institution, et y compulsant journaux intimes, lettres aux parents, échanges de la direction avec les autorités, avant de rencontrer plusieurs anciens pensionnaires (Bastoy a fermé ses portes en 1970, pour devenir une prison). « L’intention n’a jamais été de tourner un documentaire, précise-t-il. Il s’agissait de s’appuyer sur cette mine d’informations pour qu’elles puissent fonctionner en tant qu’histoire. Mais si nous avons ajouté des éléments de fiction, la façon dont l’institution était dirigée, les châtiments, les abus, le degré de violence, tout cela était extrêmement bien documenté. Les lignes principales du film découlent de faits. »

Articulé autour de 2 jeunes gens aux personnalités divergentes qui vont se révéler dans ces circonstances extrêmes -des acteurs débutants, comme la quasi totalité de la distribution, à l’exception des adultes, au rang desquels l’on retrouve l’excellent Stellan Skarsgård-, le récit ne manque certes pas d’interpeller. Il y a là, en effet, une constellation de thématiques universelles pour les unes, intemporelles pour les autres. « Parler d’institutions fermées que l’on ne peut pas vraiment contrôler de l’extérieur, et de l’impact que cela peut produire sur des gens à qui on a octroyé un pouvoir excessif sur d’autres m’intéressait« , précise le réalisateur, y ajoutant encore l’effet dévastateur d’un tel environnement sur des pensionnaires spoliés de leur identité. Au-delà, l’épisode tragique ne manque pas de troubler par ses multiples résonances contemporaines -et pas seulement parce que le déchaînement de violence a pour cadre une île norvégienne. Ainsi notamment de faits de pédophilie que l’autorité mettra un soin tout particulier à vouloir étouffer -posture dont l’histoire nous abreuve en mode repeat.

S’y ajoute une palette graphique et esthétique nullement étrangère à l’impression puissante produite par un film dont le paysage hivernal, baigné de lumière froide, constitue l’un des éléments clés, jusque dans un final proprement étourdissant. La reconversion de Bastoy en prison moderne rendant l’utilisation du cadre d’origine difficile, si pas impossible, la production s’est tournée vers l’Estonie, proche géographiquement et « beaucoup moins touchée par la marche du temps. Je voulais que le sentiment de froideur puisse être ressenti à travers les actes, mais aussi à travers l’environnement », observe encore Marius Holst. The King of Devil’s Island y trouve une âpre et troublante beauté, comme en écho à une réflexion d’ensemble du réalisateur: « Il était essentiel à mes yeux que ce monde ne soit pas exclusivement gouverné par le mal; l’enfer est pavé de bonnes intentions, n’est-il pas? »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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