A travers le festival pluridisciplinaire Norway Now, l’Ancienne Belgique et le Bozar mettent à l’honneur la culture norvégienne contemporaine. Voyage en musique, barrée, de l’autre côté de la mer du Nord.

Août 2010. Oslo. Pendant le Oya festival, la capitale norvégienne ressemble à un juke-box à ciel ouvert. Dans un troquet, un groupe de reprises enchaîne les classiques punks.  » Vous êtes belge? Génial. On est les plus grands fans au monde des Kids. «  Au Bla, l’un des clubs les plus réputés de la ville, le chanteur de Yeasayer qui vient de recevoir un coup de fil annonçant une mauvaise nouvelle – » mon appartement a été cambriolé; apparemment, on m’a piqué mon vélo « – fait la fête avec The National devant un concert de Caribou. Tandis que le team de M.I.A. met le souk dans un mini club au dernier étage d’un building d’affaires…

Pendant Oya, la crème de l’indé international partage l’affiche avec la scène locale. C’est ici, puis aussi au by: larm, un festival dédié aux professionnels, que l’équipe de l’Ancienne Belgique a fait ses emplettes. Au départ, elle imaginait un petit focus sur la scène musicale norvégienne. Pas celle établie et grand public, genre concert de Röyksopp et reformation de a-ha. Non, plutôt un événement dédié aux musiques de niche. A ces genres et ces sons souvent extrêmes, expérimentaux, qui leur confèrent une image inaccessible ou à tout le moins prise de tête. Norway Now s’est en quelques mois transformé en une grande manifestation pluridisciplinaire consacrée à la culture norvégienne contemporaine. Un long voyage, de Stavanger à Tromso en passant par Oslo, traversant la littérature, le cinéma, les arts visuels… La pop, le rock, le jazz, l’électronique et le classique…

 » Dans la programmation de l’AB, nous proposons essentiellement de la pop anglo-saxonne. Grosso modo, la moitié est belge. Et l’autre nous vient des Etats-Unis et d’Angleterre, schématise Kurt Overbergh, le directeur artistique de l’Ancienne Belgique. Depuis quelques années, nous essayons cependant de nous ouvrir les oreilles et l’esprit. Notamment en nous intéressant de près aux pays nordiques et à leur production. C’est une des missions de l’AB. Une manière de nous renouveler. Nous recevons plus de 200 offres de groupes et de tourneurs par semaine. Il est évidemment impossible de se faire un avis pertinent sur tout ce qui sort aujourd’hui. Partir de la sorte à la découverte d’un pays permet davantage d’indépendance et de liberté.  »

Avec l’aide de a-ha et de l’Etat

Après l’Islande, qu’elle avait déjà mise en vitrine en collaboration avec le Bozar, et le Danemark, auquel elle consacre chaque année une soirée, l’AB met donc cette saison le cap sur la Norvège.  » L’ambassade nous a contactés. Là-bas, la musique, aux yeux du politique, est considérée comme un véritable produit d’exportation. Une super carte de visite. Pour tous ces pays nordiques, l’art en général est un moteur économique. »

S’il existe des options de financement étatiques pour l’enregistrement d’un disque, aides que peuvent solliciter artistes et labels, les pouvoirs publics norvégiens ont aussi pris l’habitude d’acheter 550 copies d’un album pour les distribuer dans les médiathèques, les ambassades et autres endroits stratégiques. Une bénédiction pour les structures audacieuses qui ne vendent pas leur catalogue par camions et se sont affranchis des préoccupations commerciales du circuit… Même les grandes gloires de la pop norvégienne apportent leur soutien aux artistes émergents… Cette année, Morten Harket et sa bande ont créé le a-ha Talent Grant. Une espèce de Mercury Prize financé et téléguidé, comme son nom l’indique, par a-ha. Les auteurs de Take on me ont investi 500 000 euros dans la bagarre. Les 4 lauréats du concours, Shining, Susanne Sundfor, Moddi et Casiokids, empochant une première partie pendant la tournée d’adieu de qui vous savez et surtout la modique somme d’un million de couronnes, environ 120 000 euros, pour vendre et tourner à l’étranger.

Nouvelle adresse

Il suffit de jeter un £il à la programmation de Norway Now pour s’en convaincre. L’AB préfère les mers agitées aux eaux paisibles du Glomma.  » Ça ne sert à rien de présenter les copies des groupes UK. Nous avons cherché le différent. Que ce soit en rock -nous organiserons une soirée noise en janvier avec Lasse Marhaug et Maja Ratkje- ou en jazz -avec des trucs plutôt free et pas toujours évidents. Il y a quelques années, le critique Stuart Nicholson a écrit un bouquin assez controversé et provocateur, Is Jazz Dead?: or has it moved to a new adress , postulant que le jazz aux Etats-Unis se complaisait dans la copie et que le renouveau venait de la scène scandinave. »

Frappé par la radicalité des groupes norvégiens, tous styles confondus, Kurt Overbergh a sa petite idée sur leur indépendance et leur vision artistique.  » Le pays ne compte que 5 millions d’habitants. Les musiciens savent pertinemment qu’il ne sert à rien de devenir populaires dans leur pays. Plutôt que d’enregistrer ce que monsieur et madame tout-le-monde attend d’eux, ils font ce qu’ils veulent. Leurs groupes ont souvent ce qu’on appelle un public de niche. Des petites assistances un peu partout dans le monde qui leur permettent de tourner toute l’année aux 4 coins du globe. »

 » Nombreux musiciens de la nouvelle génération ont fréquenté les conservatoires d’Oslo et de Trondheim. Des endroits où on les a invités à écouter tous les styles de musique et à s’en inspirer, approfondit Rune Kristoffersen, fondateur de Rune Grammofon, label mélangeant free jazz, improvisation et expérimentations électroniques auquel l’AB dédiera le 1er décembre une soirée (Phonophani, Puma…). Les élèves en jazz par exemple sont amenés à étudier le rock, la world et la musique contemporaine pour élargir leurs horizons. Ça mène à des choses différentes, expérimentales, parfois extrêmes.  »

Contre-courant

Norway Now, même quand on parle musique, ce n’est pas que la vision radicale des groupes. C’est aussi celle des graphistes. Désireuse de décloisonner l’événement, l’AB organise ainsi quelques expos dans son café resto. En décembre, elle mettra justement en évidence l’artwork de Rune Grammofon. Tandis qu’en janvier, elle allumera les projecteurs sur le label noise Pica Disk.  » Les in house designers se font très rares dans les maisons de disques aujourd’hui mais ils existent encore et participent à l’identité de leur label. Avec l’importance qu’a pris le téléchargement, ils nagent vraiment à contre-courant.  »

Exilé également au Bozar et à la Cinematek, Norway Now proposera encore des films, des documentaires, de l’architecture, des installations et des performances venus du froid. Comme disait un vieux proverbe norvégien,  » celui qui laisse derrière lui une bonne réputation ne meurt pas pauvre… »

Norway Now, jusqu’au 24/05/2011, au Bozar, à l’ AB et à la Cinematek.

Texte Julien Broquet, à Oslo

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