AUTEUR ET ACTEUR DU SOMBRE THE HUNTER, LE CINÉASTE IRANIEN RAFI PITTS CÉLÈBRE LA NATURE ORGANIQUE DU CINÉMA. DANS UN CONTEXTE DE CENSURE QUI REND TOUT DIFFICILE.

Il fut acteur dès l’âge de 8 ans, émigra vers Londres avec son père anglais durant la guerre Iran-Irak, et fit ses études de cinéma et de photographie dans la capitale britannique. Il vécut ensuite à Paris, travaillant sur des films de Godard, Doillon, Carax. Autorisé à tourner en Iran (le premier réalisateur exilé dans ce cas depuis la révolution islamique) au milieu des années 90, il est devenu un habitué du Festival de Berlin, où son nouveau -et formidable- film, The Hunter, fut le grand absent du palmarès 2010. C’est à la Berlinale que nous l’avions rencontré, pour évoquer ce thriller existentiel, un des films à ne pas manquer cet été.

De la musique punkoïde du début à la note finale, votre film semble baigner dans une atmosphère « no future »…

La musique du générique de début, je l’ai entendue quand j’écrivais le scénario. Et elle m’a inspiré. Elle vient d’un album de 1977, enregistré par Rhys Chatham et qui s’appelle Guitar Trio. Elle a porté le film vers ce qu’il est. Et sans doute vers cette fin-là, que vous pouvez voir en effet comme relevant d’un « no future ». Mais j’aurais pu donner une autre conclusion, dans d’autres circonstances que celles que traversent mon pays, et que je ne pouvais prévoir en commençant à écrire… Ce qui est passionnant avec le cinéma, c’est sa nature évolutive, organique. Vous écrivez un film, vous le tournez, vous le montez. Et à chaque fois, vous ignorez où va vous mener l’étape suivante du processus. Si vous le saviez, quel serait encore l’intérêt de poursuivre, d’ailleurs? Je ne laisse jamais mes acteurs ou mon monteur (il reçoit des rushes sans aucune indication) lire le script, car je ne veux pas qu’ils sachent la fin d’avance. Ainsi, ils peuvent garder le film vivant, jusqu’au bout.

Quelle dimension politique consciente avez-vous voulu donner à votre film?

Je ne voulais pas faire un film directement politique. Avec la censure omniprésente, je n’aurais d’ailleurs pas pu… Mais la politique fait partie de sa texture, du labyrinthe qu’est le film. Et les événements survenus en cours de tournage n’ont pu que faire ressortir ce fil-là dans le tissu d’ensemble. Mais mon personnage ne descend pas dans la rue pour manifester. Sa femme, oui, peut-être. Je laisse cette question sans réponse. Je déteste les portes fermées dans la vie. Dans mes films aussi, je les laisse ouvertes. Je ne dis pas aux gens ce qu’ils doivent voir dans mon film, ni ce qu’ils doivent en penser. Si je faisais cela, je ferais ce que font les autorités…

Votre personnage est-il désillusionné?

Déçu? Oui. Mais il est surtout frustré. La désillusion peut conduire à renoncer. La frustration pousse au contraire à agir. Même s’il n’y a pas vraiment d’espoir.

Partagez-vous cette frustration?

Aurais-je fait le film sinon? C’est sans doute plus évident car je joue le personnage moi-même. Mais sachez que ce n’était pas un choix. J’avais un acteur. Mais dès le premier jour de tournage, il est arrivé en retard, et s’est révélé indigne de confiance. J’ai pris sa place pour ne pas devoir renoncer au film. En Iran, c’est un long processus d’obtenir une autorisation de tourner. Et le certificat qui vous l’accorde mentionne le nom des principaux techniciens et acteurs. Chercher un autre acteur principal m’aurait ramené loin en arrière dans la procédure. J’aurais dû retourner devant la censure pour demander un nouveau certificat. Je ne voulais pas courir ce risque, alors j’ai joué moi-même. Mais je ne le ferai plus, si je peux l’éviter!

Comme pour d’autres films iraniens marquants, et critiques, on peut être étonné qu’ils aient été faits avec l’autorisation du pouvoir.

Je suis parfois étonné moi-même (rire)! Mais il faut savoir ruser avec la censure… Je ne me vois pas filmer clandestinement. D’autres le font, et avec talent, en plus du courage que cela demande. Mais pour ma part, je souhaite que mes films puissent être vus par le public iranien. S’ils n’existaient que pour l’extérieur, ce serait comme une manière d’abandonner, de faillir. Je fais des films avec un sentiment d’urgence, en prenant certains risques. Je veux qu’ils soient visibles par ceux qui vivent les situations que ces films évoquent.

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN

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