L’ANGLAIS NICK GOLD EMBARQUE LES RÊVES MUSICAUX DES TROPIQUES, SIGNANT SUR SON LABEL WORLD CIRCUIT ALI FARKA TOURÉ, OUMOU SANGARÉ ET BIEN SÛR BUENA VISTA SOCIAL CLUB, DONT UNE INCARNATION SE PRODUIT À L’AB CE 21 JUIN. CUBA? BEN SI.

« C’est pas mal pour un producteur de s’appeler Gold, non? » A la question, le Nick concerné rigole et approuve. Dans un resto asiatique du nord-est londonien, Gold avale une soupe de nouilles en nous arrosant du surplus de soja et des détails d’un parcours musical qu’on peut qualifier d’exceptionnel. Production du meilleur de la musique africaine et, dans les années 90, du talent cubain alors sous pesant embargo américain. Signant l’album le plus vendu de l’Histoire de la world,celui du Buena Vista Social Club: plus de sept millions de copies écoulées depuis sa sortie en septembre 1997. « Peut-être huit, je ne sais pas exactement« ,explique Nick, confirmant que cette opération l’a rendu « riche », comme les musiciens participant à l’entreprise. Pourtant, aujourd’hui, le petit bureau sans faste de World Circuit et ses trois employés, hors Nick, confirment que les musiques du monde, comme les autres, luttent pour leur survie discographique. « Nous étions encore douze-quinze il y a quelques années, mais désormais, pas mal de fonctions de World Circuit sont externalisées. Je n’ai jamais vraiment adhéré à la notion de « world music », parce que c’est une étiquette dont l’Occident a recouvert diverses musiques pour mieux les catégoriser. » Le conformisme, notion peu goldienne.

Nick naît en 1961 à Londres d’un père réalisateur de films documentaires pour la BBC, et d’une mère actrice, délaissant vite la scène pour ses enfants. « On lisait beaucoup à la maison où, le week-end, mon paternel poussait à fond le son des disques de Duke Ellington, Louis Armstrong, Bessie Smith ou Count Basie. Mais avant de succomber à la new wave de Talking Heads ou Blondie, j’adorais le blues de Muddy Waters, Buddy Guy et Junior Wells. Je fais partie de la génération qui est allée voir les Stones à Earl’s Court en 1976, quand Mick s’est planté dans le high pitch de Fool To Cry. »

Dans ce cocktail blues-rock, Nick Gold insère des idées progressistes. Il quitte ses études d’anglais à l’Université du Sussex pour un long périple planétaire et, quand il en revient, c’est pour intégrer la section Histoire africainede la fac: « Je lisais pas mal les auteurs nigérians ou ghanéens, je m’intéressais à ce qui avait formaté le continent africain: oui, cela a pu m’aider plus tard, quand j’ai travaillé avec des musiciens de là-bas. » Nick, la vingtaine, se partage entre le volontariat, la vente de disques dans un magasin de King’s Cross et un troisième boulot dans Arts Worldwide,qui fait venir des musiciens soudanais ou vénézueliens en Grande-Bretagne. La compagnie en question finit par créer un label de disques, World Circuit: Nick découvre alors le studio d’enregistrement, et se rend compte que là est son Graal, dans le processus intime de création musicale. Il flashe sur un guitariste malien, Ali Farka Touré, découvert via son Red Album paru chez les Français de Sonodisc: « Ma patronne d’alors, Anne Hunt, est allée à Bamako et, avec l’aide de Toumani Diabaté, a passé une annonce sur la radio publique, disant qu’elle cherchait Farka Touré. Par chance, il était en ville et non pas chez lui, dans sa ferme de Niafunké, à 800 kilomètres au nord-est. Anne a ramené Ali à Londres où je l’attendais à la descente de l’avion. J’étais fasciné par sa musique à la fois extrêmement familière et étrange, dualité terriblement bien chantée et jouée, du calibre d’un John Lee Hooker. Il ne parlait pas anglais donc je lui causais dans mon atroce français (sourire). »

Après avoir racheté le label World Circuit au début des années 90, Nick Gold produit entre autres une série de disques remarqués d’Ali Farka Touré, dont Talking Timbuktu en 1994. L’album, qui finira par se vendre à un million d’exemplaires (!), est réalisé en duo avec Ry Cooder, autre héros de Gold. « Ils ne pouvaient pas vraiment parler ensemble à cause de la barrière de la langue, mais avaient un vrai respect mutuel. Ali ne changeait rien à sa musique mais laissait de l’espace à Ry: mon rôle de producteur consistait aussi à ce qu’Ali veuille bien faire une seconde prise en studio, ce qui rompait avec ses habitudes. » Ali, qui meurt d’un cancer au printemps 2006, reste l’un des grands moments de la vie de World Circuit et de Nick.

Racines glorieuses

On connaît l’anecdote: parce que les Maliens pressentis pour venir jouer en 1996 à La Havane avec des musiciens locaux sous l’égide de Ry Cooder n’arrivent pas -passeports bloqués au Burkina Faso-, le disque de Buena Vista Social Club se fait sans eux. En compagnie de l’arrangeur Juan de Marcos Gonzalez, Gold boucle d’abord un album des Afro-Cuban All Stars et puis, avec Cooder, attaque un autre disque à la recherche des racines glorieuses du Cuba pré-castriste. Juan de Marcos ramène le pianiste Ruben Gonzalez comme Ibrahim Ferrer, choriste oublié à la voix extra-douce. Avec eux, Compay Segundo, Eliades Ochoa, Omara Portuondo et d’autres complètent un casting faramineux sorti du passé. Gold: « Buena Vista est le genre d’album qui n’arrive qu’une fois. En six jours, dans ce studio exceptionnel de La Havane, on a capté la beauté des choses, ce son chaud y compris dans le background où les maracas sont habituellement aigres, le tout couché sur une bande deux pouces analogique. Un sentiment formidable. » Gold passera les quatre-cinq années suivantes à faire des allers-retours entre Londres et La Havane: il s’y rend toujours et considère les familles des musiciens -presque tous morts- comme les siennes. « J’ai vu Omara la semaine dernière, quand elle a chanté au Royal Albert Hall, le lien est toujours là. Non, je ne sais pas ce qui peut se passer maintenant à Cuba, alors que les Etats-Unis rétablissent les relations diplomatiques, pas plus qu’eux d’ailleurs. » Une remarquable histoire, à suivre.

LE CONCERT DE ORQUESTA BUENA VISTA SOCIAL CLUB LE 21 JUIN À L’AB EST COMPLET. CD D’INÉDITS ET DE LIVE DU BUENA VISTA SOCIAL CLUB, LOST AND FOUND, CHEZ V2 RECORDS. WWW.WORLDCIRCUIT.CO.UK

RENCONTRE Philippe Cornet, À Londres

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