Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

DÉJÀ VU – RENOUANT AVEC SES POTES SEXAGÉNAIRES DE CRAZY HORSE ET LEUR SON CROMAGNON, NEIL YOUNG DÉTERRE DES VIEILLERIES PRÉ-ROCK ET LEUR FLANQUE UNE FESSÉE ÉLECTRIQUE.

« AMERICANA »

DISTRIBUÉ PAR WARNER.

Nos lecteurs encyclopédiques savent que le titre de cette page est celui du premier album de Crosby, Stills, Nash & Young, Déjà vu, sorti en mars 1970. Cela voudrait donc dire que le disque remonte le cours du temps avec véhémence, ou sonne cousin de n’importe quel orage électrique enregistré par Neil Young et son autre bande de copains, Crazy Horse. Depuis 1969, le Canadien bien monté (rayon voltage) a sorti avec ses collègues du Cheval Fou pas moins de 21 albums (sur un total hors compiles de 43…), dont une demi-douzaine de live. Le trajet commun n’est pas seulement une question de télépathie musicale mais une histoire gondolée de fêlures partagées avec Billy Talbot (basse), Ralph Molina (batterie) et Frank Sampedro (guitare), notamment celle de l’overdose fatale de Danny Whitten. Premier guitariste de Crazy Horse, le mec y injecta sa mélancolie extrême, résumée dans le sublime I Don’t Want To Talk About It, et fit un trou béant dans la psyché patronale. Viré par Neil un soir d’automne 1972 -avec 50 dollars et un ticket de retour à Los Angeles-, Whitten overdosa la nuit même via un cocktail de valium et d’alcool destiné à combattre son addiction à l’héroïne. Bouleversé par la mort consécutive de Whitten et de Bruce Berry, roadie et pote de poudreuse de Whitten, Young en conçut une culpabilité traînante transmise dans le charbonneux Tonight’s The Night, enregistré en 1973 mais sorti seulement deux ans plus tard.

God Save The Queen

On peut imaginer que ces disparitions parmi d’autres -Ben Keith, pedal steel chez Neil, est mort en 2010, Jack Nitzsche, producteur entre autres d’ Harvest, en 2000- et la secousse d’avoir deux enfants autistes ont donné à Young un désir de vie supérieur à la moyenne de l’hominidé. On retrouve, sur ce premier enregistrement avec Crazy Horse depuis le Greendale de 2003, le défi de graver les montagnes électriques et de gicler en 220 volts à la face du monde. En reprenant onze titres du répertoire traditionnel, avec un penchant pour les machins Mathusalem – Oh Susannah remonte à 1847-, Young et sa bande dépoussièrent les originaux et tentent d’en livrer d’exquis cadavres. C’est pratiquement le cas, quand le bon boogie crasseux fait circuler la lumière chez les troglodytes ( Travel On, 1958) ou lorsque la guitare booste la circulation sanguine ( High Flyin’ Bird, 1964). Mais globalement, l’excitation reste en deçà de ce que Neil nous a déjà donné au compteur Electrabel: c’est moins une question d’intensité, de surenchère impétueuse, que de sens de l’interprétation. Peut-être a-t-il trop le nez sur le corps même de l’americana, ce que prouverait une version assez banale de This Land Is Your Land -essentielle protest-song écrite en 1940 par Woody Guthrie- loin du reformatage jouissif de God Save The Queen. Pas le morceau érectile des Sex Pistols mais bien l’hymne britannique dont les racines mélodiques tutoieraient le XVIIe siècle. Là, Neil nous surprend avec inspiration: ce n’est pas le cas de la globalité de cet album, pas plus médiocre que formidable. l

PHILIPPE CORNET

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