ELLE N’Y CROYAIT PLUS. A 29 ANS, L’AMÉRICAINE NATALIE PRASS A ENFIN PU SORTIR SON PREMIER ALBUM. UN DISQUE DE CoeUR BRISÉ, QUI NOIE JOLIMENT SON CHAGRIN DANS LA SOUL ET LA COUNTRY. CRAQUANT.

Elle a les cheveux longueur cocker et les lunettes de soleil qui lui donnent un air de Joey Ramone au féminin. En dessous de sa veste en jeans, Natalie Prass porte un T-shirt du groupe Starship: une vague excroissance pop eighties du Jefferson Airplane, qui commit quelques-uns des tubes les plus effroyables du rock FM. « Bon, en fait, je ne les écoute pas vraiment, c’est plutôt un clin d’oeil ironique. Cela dit, ils ont quelques super chansons, comme Sara ou Nothing’s Gonna Stop Us Now… » Pas de sourcil moqueur pour le coup. « Au bout du compte, c’est ce qui reste pour moi le plus important: les chansons. C’est toujours à cela que je reviens. La production peut être super, la partie de basse incroyable, in fine, il faut qu’il y ait de la substance. » Son premier disque, sorti au début de l’année, ne dit pas autre chose. Avec ses neuf morceaux au songwriting country-soul léché, il convoque aussi bien Dionne Warwick que Janet Jackson ou Gal Costa. L’album éponyme confirme surtout le retour d’une écriture américaine moins vintage que classique. Chez Prass, cela semble de toute façon une seconde nature…

Mode canine

L’Américaine est née en 1986, du côté de Cleveland. Avec ses parents, ils bougent pas mal, avant de se fixer plus ou moins du côté de Virginia Beach, sur la Côte Est. Pris par son boulot, le paternel est apparemment souvent absent. « Mais quand il était là, il prenait une guitare et jouait un morceau qu’il avait lui-même composé. Cela me fascinait complètement. Je voulais faire la même chose. » A sept ans, Natalie Prass se met donc derrière le piano et pond une première chanson. « Elle s’intitulait The Last Tulip on Earth, un vrai drame sentimental (rires). » Quand elle ne fait pas les poubelles de la maison pour récupérer des matériaux pour ses collages-bricolages-sculptures –« je ne sais pas ce qui n’allait pas chez moi »-, elle invite donc tous ses voisins pour un concert de quartier…

La suite est classique: les premiers groupes au collège, le bruit punk entre filles,… « D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours voulu ça, faire de la musique. » Elle réussit à entrer au prestigieux Berklee College of Music de Boston. Son passage y est bref: elle préfère filer directement à Nashville, la Mecque de la musique américaine. Au bout d’un moment pourtant, c’est l’impasse. Prass a beau bosser dur, la concurrence est rude. La jeune musicienne reçoit régulièrement des propositions pour intégrer des teams d’auteurs-compositeurs -avec mission de pondre des morceaux à la chaîne, cinq jours sur sept. A chaque fois, Natalie Prass refuse. « Pourtant, j’ai plusieurs amis qui font ça. Mais cela me semble enlever toute vie, tout esprit, toute joie même, à l’exercice du songwriting. »

Natalie Prass a alors 25-26 ans, et déjà de quoi assembler un, voire deux albums. Mais personne pour les produire et les enregistrer. Dans ses discussions, elle évoque Dusty Springfield, on lui répond EDM et Calvin Harris, alors en pleine explosion en Amérique. « J’ai commencé à me poser des questions. Je ne savais plus si j’étais capable de continuer. Je me suis alors décidée à lancer ma compagnie de vêtements pour chiens. » Pardon? « J’ai toujours aimé les animaux. J’avais des chiens, ils se les gelaient dehors, et je n’avais pas grand-chose à leur mettre. J’ai commencé à leur bricoler des trucs. » A côté des guitares et des amplis, viennent donc s’empiler les tissus et les machines à coudre. « Je vivais dans un capharnaüm permanent. C’était pas mal en même temps. Pour une fois, je produisais quelque chose dont je pouvais retirer directement des bénéfices. Au contraire de la musique, où vous bossez tout le temps, en espérant un jour toucher quelques dollars de quelqu’un qui aura utilisé votre morceau dans une pub… »

Heureusement, la mode canine devra se passer d’une créatrice. Sur les conseils d’un ami commun, Natalie Prass décide de recontacter Matthew E. White. « On s’était déjà croisés, plusieurs années avant. Du coup, je lui ai envoyé un mail : « Hey Matt, ici Natalie Prass, tu te souviens de moi? Tu pourrais m’appeler? » Il a mis quinze jours à répondre… » A partir de là, l’échange de mails ne s’arrêtera plus.

En janvier 2012, Prass débarque donc chez White, du côté de Richmond. « Pendant la Guerre de Sécession, c’était la capitale des Etats confédérés. Il y a plein de statues d’anciens généraux sudistes. Mais à côté de cette histoire un peu lourde, c’est une ville très progressiste. Et très jolie. On y a conservé pas mal de choses, plein de vieux bâtiments coloniaux. Ce qui lui donne pas mal de charme. J’aime ce sentiment d’être dans un lieu qui a un passé. Comparativement, Nashville grandit tellement vite. Même le fameux « music row » se transforme considérablement. Ils abattent les anciens studios, pour construire de nouveaux immeubles. C’est désolant. »

A Richmond, Natalie Prass a donc enfin trouvé son port d’attache. Quand elle grave ses morceaux avec White, celui-ci n’a pas encore sorti son premier album (l’acclamé Big Inner). Par contre, il a déjà monté Spacebomb, à la fois label et collectif de musiciens bossant à l’ancienne, un peu sur le modèle de la Motown ou de Stax, qui avaient leurs « orchestres » maison. « Des mecs super, toujours à l’écoute, sensibles et attentifs. » Cette qualité humaine, on peut presque l’entendre dans un album de coeur brisé, dont l’auteur avait fini par désespérer qu’il sorte un jour. Vu le succès inattendu du Big Inner du patron, le disque a dû en effet être reporté par deux fois. « J’ai cru devenir folle. » Aujourd’hui, les chansons de Natalie Prass peuvent donc enfin circuler à l’air libre. Bande-son de l’été, son It Is You, par exemple, a déjà été repiqué par la pub. Entre comédie musicale à la Stanley Donen et princesse Disney, Prass y flirte en cinémascope. De quoi vous changer de la reine des neiges…

NATALIE PRASS, NATALIE PRASS, DISTR. CAROLINE.

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EN CONCERT LE 19/06, AU BOTANIQUE, BRUXELLES, ET LE 20/08 AU PUKKELPOP, HASSELT.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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