DU BAZAAR, CLUB DES MAROLLES LANCÉ EN 1996, ELLE A FAIT UN ÉCRIN DE MUSIQUES URBAINES QUI ROUVRE CE 17 OCTOBRE. PARCOURS DE LA PATRONNE, ATYPIQUE FAROUCHE, ENTRE ROOTS MAROCAINES ET AMOURS BRUXELLOISES.

« D’abord, je veux dire que je suis profondément urbaine, que je vénère la ville, son bruit, ses excès, et que non, je n’en ai toujours pas marre de tout cela (sourire). J’aime le downtown, les bistrots, les mouvements de Bruxelles, sa musicalité, sa contemporanéité. » Il est difficile de résister à la tornade brune qu’est Nadia Bakkali, silhouette ado qui mixe maturité -1er juillet 1961- et enthousiasme jamais lessivé. Alors, en ce début septembre, en voyant le Bazaar en travaux de fond dans son bâtiment de la rue des Capucins, on ne peut qu’admirer le quota 220 volts dont cette Méditerranéenne semble éternellement chargée. Le secret, elle le livre en potion complète: « Je suis très sensible aux mouvements de créativité que l’on expérimente entre 18 et 35 ans, tranche d’âge où on est le plus créatif: on a moins peur de la vie, on est moins embourgeoisé, plus cru, plus frondeur. J’ai envie de me replonger dans cette époque dont, l’âge venant, on a tendance à quitter les berges. Je vois le slogan actuel des Halles de Schaerbeek, « Cultiver sa rage », et il me parle assez bien.  »

Au départ, il y a donc Tanger, ville du nord Maroc à un bras de mer de Gibraltar. Ecrasée par la lumière, traversée par la pauvreté d’un royaume qui envoie sa progéniture travailler en Europe. « On habitait dans un quartier espagnol que j’ai quitté à l’âge de 6 ans pour rejoindre mon père en Belgique, parti un an plus tôt bosser dans la métallurgie à Forest. On a reçu de nouveaux vêtements et fait ce grand voyage en voiture, on a été super bien accueillis: tout le monde nous trouvait beaux avec nos yeux noirs et notre peau mate. C’est plus tard que les choses se sont un peu envenimées, vers l’âge de 20 ans. » Quatrième d’une fratrie de cinq filles et deux garçons, Nadia grandit sous la férule de parents modernes: « Ils ne nous ont jamais obligés à aller à la mosquée, ma mère portait un foulard mais n’était nullement déguisée. Les femmes de sa génération avaient des rêves d’indépendance, universitaires, de chemin personnel. Moi, je me voyais en Mata Hari (sourire), j’avais 15 ans et rêvais d’écrire des romans, d’autant que j’avais comme prof à l’Athénée d’Ixelles Gaston Compère, littérateur pour spécialistes. Du lourd. D’ailleurs, nos profs encensaient volontiers les auteurs maudits, les Van Gogh comme les Artaud. » Egalement armée en maths et en français, Nadia-la-jeune refait le monde la nuit, devient gothique et va écouter Satie aux Beaux-Arts, adore Londres, sort en boîte, « fume beaucoup de cigarettes et boit beaucoup de café« .

C’est quand elle étudie Philo et Economie politique aux Facultés Saint-Louis que Nadia se rend compte des décalages: « Là, je me suis pris des complexes de fille arabe et gothique (rires), donc j’ai filé à l’ULB pour faire Philologie orientale, que je n’ai pas terminée. Les questions sur les origines ont commencé à me fouetter (sic). » Après d’autres cours pour être « cadre culturel« , la jeune Nadia -désormais belge- travaille avec la compagnie de danse José Besprosvany, habite le « quartier Chicago », au centre-ville, un 250 mètres carrés magnifique partagé avec sa soeur Amina. Au milieu des années 90, une rencontre fait dérailler le destin sociocul. Il a pour nom Vincent Van Oost, mec de bonne famille qui a ouvert avec sa compagne un premier Bazaar à Anderlecht: « Celui-là a fermé et on a inauguré en septembre 1996 un endroit rue des Capucins, avec l’idée de musiques et de rencontres culturelles. Mes parents y faisaient la cuisine et, assez vite, on a été dépassés par le succès. » Sous le velours rouge et les dorures conviviales du Bazaar défile de la musique de qualité, le plus souvent world: Abdelli, Boubacar Traoré, Matthieu Ha, Kocani Orkestar, Ghalia Benali. « Là, j’ai redécouvert toute une partie de mes origines et le Bazaar a rempli un manque dans un quartier où se trouvaient déjà le Fuse et un club de jazz, mais qui s’éteignait quand même un peu.  »

Restaurations d’ampleur

La fille qui « adore faire la fête » participe donc à la revitalisation de Bruxelles, en glanant un public « magnifique, des gens alors de mon âge, les 28-38 ans« . Les soirées se saoulent de plaisir, le resto est mode, le Bazaar décroche ses palmes nocturnes. Et puis une série noire fusille le scénario du bonheur: entre 2005 et 2008, Nadia perd son associé, ses parents et une petite soeur. « Je me suis demandé ce que j’allais faire (…), mon compagnon Patrick est entré dans l’affaire et on a rencontré Seydina Ba, un Belge d’origine congo-sénégalaise qui nous a incités à partir dans une autre direction. Il nous a mis en contact avec des collectifs comme The Soul Project de Bruxelles et fait venir Gregory Porter, DJ Premier, Jazzy Jeff ou Dimitri From Paris, ouvrant une deuxième vie au Bazaar. » Entretemps, le resto a fermé et le club a entamé des restaurations d’ampleur. Nadia, la fille des écoles catholiques de Forest, la fan eighties de Nina Hagen, la gothique admiratrice de Satie, semble ravie: « Je redécouvre des musiques qui, à mon âge, échappent généralement à l’écoute, comme le collectif Leftorium qui amène des DJ’s de partout. On reste toujours nostalgique de ses 20 ans mais j’espère continuer à voir la vie comme ouverte, au moins jusqu’à 85 ans. Même si je ne me couche plus aussi souvent à cinq heures du matin (sourire). » Alors, la Nadia qui se dope au Stabat Mater de Pergolèse et aux chansons vinaigres de Jeanne Moreau, qui se sent encore arabe « chaque fois que je suis contrôlée à la douane« , cette Nadia-là devrait encore mettre le Bazaar un bout de temps.

LE BAZAAR, 63 RUE DES CAPUCINS 1000 BRUXELLES, WWW.BAZAARBRUSSELS.COM

LEFTORIUM LE 18/10, MADCITY LE 19/10, FUTURISTIK SOUL LE 25/10, DANCEHALL STATION LE 26/10…

RENCONTRE Philippe Cornet

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