Elles nous accompagnent au quotidien, parfois pendant plusieurs années: on a tous en nous quelque chose de ces séries télé.

La fiction déteint souvent sur la réalité. On connaît tous quelqu’un que Les dents de la mer a interdit de baignade, des enfants qui craignent les clowns depuis la rencontre avec le Grippe-Sous de Ca, des peine-de-moristes qui ont changé d’avis après la vision de Dancer in the Dark/ La dernière marche/ La ligne verte… L’influence du 7e art sur les opinions et comportements du spectateur est connue. Celle des séries l’est moins. Or, les fictions télévisées de par leur omniprésence, leur prégnance, les thèmes qu’elles abordent et le rythme qu’elles adoptent (elles respectent par exemple souvent la saisonnalité du monde qui la regarde: elles fêtent Noël à Noël…), ont sur le téléspectateur une emprise et une incidence certaines. Et pas seulement sur les prénoms (Kelly, Dylan et Brenda en tête, pour la génération Beverly Hills 90210) donnés à sa progéniture. Petite anthologie -non exhaustive- des feuilletons qu’on porte en nous, qu’on le veuille ou non, bien après que leur générique a défilé.

On est devenus paranos à cause de 24 heures chrono:

Parce que, dans la série, tous ceux qu’on croyait gentils se sont révélés méchants. Même ceux qu’on imaginait blancs comme neige se sont finalement montrés sous leur vrai jour: celui d’ignobles traîtres à leur patrie, à leur famille et à leurs amis. Voire de terroristes nucléaires. Depuis, on craint que l’enveloppe de nos étrennes ait été saupoudrée d’anthrax par bonne-maman, que notre amoureux nous fréquente uniquement pour se constituer une couverture crédible et masquer des activités louches, que notre boss nous poignarde près de la photocopieuse quand un de nos papiers (celui-ci?) lui aura déplu… Et surtout, on ne peut plus lire un livre ou voir un film sans suspecter tout le monde de tromperie -même Mary Poppins, qui est probablement une cambrioleuse en puissance. A part ça, on notera quand même que 24 heures chrono a probablement préparé le terrain à l’élection d’un président noir, grâce à son rassurant David Palmer.

On s’assume un peu plus physiquement grâce à Nip/Tuck: Pas que cette série fasse passer des messages du type « La vraie beauté vient du c£ur », loin de là. Mais Nip/Tuck, c’est une telle boucherie répugnante qu’on a déprogrammé le recollement de nos oreilles qui nous faisait envie depuis l’enfance et que pour éviter de paraître 60 ans à 35, on s’achètera un écran total plutôt qu’une seringue de Botox. Première fiction télé à montrer d’aussi près les interventions chirurgicales, elle dépiaute les corps humains sans délicatesse sur de la musique pop. Plus proche de l’esthétique médicale du bon « Docteur Plastique » de Strip-Tease que de celle du Docteur Glamour de Grey’s Anatomy, cette série a fait passer l’envie à pas mal de monde de modifier les attributs légués par Dame Nature.

On essaie de percer notre entourage à jour comme dans The Mentalist: Trop fort, ce Patrick Jane, qui peut lire l’avenir judiciaire dans les frémissements de sourcils. Le bonhomme, consultant auprès de la police (profession fourre-tout très à la mode), est doté d’un tel sens de l’observation qu’il peut lire dans le comportement des gens leur implication dans des crimes à élucider. Lie to me fonctionne sur ce même principe. A cause de ces 2 séries, on ne peut s’empêcher de croire que le poissonnier a des doutes quant à la fraîcheur de sa marchandise -ce n’était pas un tressautement de la pupille, là, qu’il nous a fait?-, que notre boss va nous virer à la lecture de notre prochain papier -ce n’était pas un trémolo, là, dans son  » bonjour« ?- et que notre chéri nous cache quelque chose de grave -ce n’était pas à gauche qu’il aimait s’asseoir dans le fauteuil?

On fait de notre vie une série comme How I Met Your Mother: Déjà, au niveau du langage: avec nos amis, on ne parle plus, on se vanne. C’est tellement plus marrant. Et même, on a adopté des tas de gimmicks de la série. On donne ainsi du « legen… Wait for it…. DARY » comme Barney à chaque conversation. Et puis, on s’est dégoté un QG, café, pub ou snack rassembleur (comme dans Friends, Hélène et les garçons…), dans lequel on espère avoir très vite nos habitudes. Enfin, on fait difficilement un pas dans la vie sans avoir convoqué l’assemblée générale des potes pour avoir leur approbation, comme on l’aurait fait jadis avec nos parents.

On se fait des fêtes monstrueuses comme dans Skins: Les plans pâtes au saumon, petit digestif et partie de cartes, ce sera pour dans quelques années. Maintenant, ce qu’on veut, c’est s’éclater, danser jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout de notre énergie, rencontrer de nouvelles personnes et se créer des souvenirs dès les premiers mots. Et si on peut, comme dans les Skins Parties (soirées pour ados inspirées de la série, où tout est permis), sortir du personnage que l’on endosse tous les jours pour enfiler un costume plus délirant, c’est encore mieux. On se déguise, on met des lunettes extravagantes, des bling-bling étincelants, un make-up fluo… Et on oublie, le temps d’une soirée, que comme le chantait Céline: « On ne change pas. On met juste les costumes d’autres sur soi.  »

On a pris goût à l’Histoire grâce à Rome: Et aux Tudors, et à Spartacus Blood and Sand. Mon Dieu que ça chauffait dans les bermudas, dans les coulisses de l’Histoire! Dans ces fresques (qui prennent quand même quelques libertés avec les faits), la fornication est au moins aussi importante que la stratégie guerrière et les visées belliqueuses. Sous les crinolines et les drapés, ça bouillonait, disent ces feuilletons sulfureux, qui tendent à démontrer que le puritanisme est une invention récente. Depuis, on interprète quelque peu différemment les commentaires de l’audio-guide du béguinage de Bruges, et on est intimement persuadé que les nonnes étaient de sacrées cochonnes.

Texte Myriam Leroy

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