Dans la boîte à outils des garagistes de la fiction, on trouve de tout: des tourne-vices, des pinces à couper les sentiments, des larmes de cutter, des fers à souder les émotions. Et aussi des pelles pour déterrer les morts. Un ustensile surtout utilisé par les bricoleurs un peu barges comme George Romero ou Sam Raimi quand il s’agit de rafistoler le châssis du cinéma de genre, mais qui séduit désormais aussi les mécanos endimanchés. Dans Twixt, sorti l’an passé, c’est Coppola himself qui trempait son biscuit narratif dans le café de la résurrection avec cette histoire imbibée de gothique d’un écrivain de seconde zone dialoguant avec le fantôme d’une jeune fille. Déjà à l’affiche aux Etats-Unis où il fait d’ailleurs la course en tête du box-office, mais attendu chez nous seulement en mai prochain, Mama laboure les mêmes terres post mortem. Sauf qu’ici, ce ne sont pas des spectres qui viennent rendre visite aux vivants mais bien deux enfants en chair et en os qui avaient disparu le jour de l’assassinat de leurs parents des années plus tôt. Plus significatif encore du regain d’intérêt pour ces flirts avec l’irrationnel, et gage d’une reconnaissance tous publics, les séries télé y succombent à leur tour. Avant The Walking Dead, que la chaîne AMC vient d’envoyer… au cimetière, Les 4400 avait aussi tenté de nous passionner pour la résurrection de milliers de personnes qui s’étaient volatilisées depuis parfois plusieurs décennies. Même les Français s’y mettent. On parle évidemment de la série Les Revenants, estampillée Canal et présentée un peu vite comme la réponse de la fiction française au rouleau compresseur anglo-saxon. Encore une histoire de chers disparus qui refont surface comme si de rien n’était. Hasard ou nécessité? Hasard du télescopage de plusieurs cerveaux de créateurs obnubilés au même moment par la grande faucheuse? Ou nécessité de faire revivre ce passé dont on se languit et dont l’évocation par le souvenir ne suffit plus? Après avoir contemplé avec nostalgie dans le rétroviseur, façon revival seventies puis eighties puis nineties, on passe à l’étape suivante: on réinjecte directement des chromosomes du passé dans le tissu du présent pour en apaiser les démangeaisons. Avec un peu de mauvaise foi et beaucoup de souplesse sociologique, on pourrait voir un écho à toute cette vague paranormale dans le virus de la réédition qu’a contracté massivement le monde de la culture. Dans un zigzag spatio-temporel digne de Star Trek, éditeurs, maisons de disques et studios reconditionnent leurs bijoux de famille. On redécouvre Spirou, on réanime des romans qui ont presque le goût de l’inédit tellement ils avaient pris la poussière (lire page 26), on coffre dans des emballages tout neufs La nuit du chasseur comme les pièces à conviction de Hitchcock. Quand la mémoire flanche ou qu’elle est encore vierge, on peut lui faire avaler toutes les pilules. Les ados, si prompts à déclasser ce qui a plus de trois mois, se gondolent devant Louis de Funès comme s’il venait de débarquer. Pareil pour les parents, dont certains font mine d’oublier qu’ils regardaient jadis avec condescendance cet acteur populaire. On a tous des trésors enfouis ou, à l’inverse, des nids de poule dans notre CV. L’art donne ce pouvoir de jouer à saute-mouton sur la ligne du temps. Profitons-en!

PAR LAURENT RAPHAËL

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