AVIS DE TEMPÊTE SUR COULEUR CAFÉ: LA RÉVÉLATION JANELLE MONAE VIENT PROPOSER SA REVUE SOUL RÉTROFUTURISTE, QUELQUE PART ENTRE METROPOLIS ET PRINCE.

Les disques se suivent et se ressemblent. Le téléchargement illégal a beau avoir plombé le business musical (refrain connu), les albums se ramassent à la pelle, tout doucement, sans faire de bruit. Pas facile de garder l’oreille naïve… Et puis, parfois, pas souvent, certains bousculent un peu la monotonie. L’an dernier, Janelle Monae sortait The Archandroid. Une sacrée claque. Pas l’album parfait. Mais le genre d’£uvre qui emmène ailleurs, rince le conduit auditif et remet 2, 3 choses en perspective. Un disque ambitieux, voire prétentieux, découpé pompeusement en 2 suites, mais à sa manière inouï. Soul? Pop? R’n’B? Rock? Monae brasse joyeusement les genres, piochant dans près de 100 ans de musique populaire américaine, de Cole Porter à James Brown, de Cab Calloway à Outkast, de Lauryn Hill à Leonard Bernstein… La jeune femme tourne d’ailleurs aussi bien avec les rockeurs indie d’Of Montreal qu’aux côtés de Bruno Mars.

Un an plus tard, on est toujours aussi saisi par l’envergure de The Archandroid. Cela ne s’est pas forcément traduit dans des chiffres de vente démentiels, loin s’en faut. Mais l’album a fait son bout de chemin et fait parler de lui. Il a par exemple permis à Monae de s’attirer les faveurs de Prince, ou de tailler le bout de gras avec Stevie Wonder ou Mick Jagger. Et puis, la chanteuse a également multiplié les concerts. Cet été, on pourra la voir à Couleur Café, mais également au Cactus Festival, à Bruges.

La scène, c’est ce qui achève de convaincre. Monae y livre des sets tout bonnement époustouflants. Les 20 premières minutes du show notamment, laissent pantois le spectateur. En mode blitzkrieg, Monae chante, danse, dans un tourbillon soul, sublimant la tradition américaine de l’entertainment, show à la fois millimétré et bluffant. Nombre de ceux qui étaient présents en février dernier, lors de son concert ultra sold out au Botanique, ne s’en sont toujours pas remis. Quelques heures plus tôt, on rencontrait la jeune femme pour l’une de ses rares interviews (une seule pour la presse francophone, point barre). C’est que l’Américaine distille ses apparitions dans la presse au compte-gouttes. Diva? Déjà, oui. Prise de melon? Pas loin. Le prix d’une certaine ambition…

Allo la Terre?

Monae est née en décembre 1985, à Kansas City. Une mère concierge, un père conducteur de camion-poubelle. La musique arrive officiellement par la bande. « C’est venu en effet assez tard. Ma première passion fut le théâtre, les comédies musicales: gamine, j’ai été fascinée par Le Magicien d’Oz , Cendrillon , James et la grosse pêche … «  Quand elle monte à New York, elle s’inscrit à l’American Musical and Dramatic Academy et rêve d’une carrière à Broadway. Finalement, la musique prend le dessus. Mais la jeune femme conserve un goût pour la mise en scène. Enregistré soi-disant au Palace of the Dogs, un ancien asile dans lequel Monae assure avoir séjourné ( « je ne peux pas en dire davantage »), The Archandroid est emballé de toute une mystique rétro-futuriste. Un conte sci-fi dans lequel Monae joue le rôle de Cindi Mayweather, figure messianique chargée de sceller une nouvelle alliance entre humains et androïdes…

La chanteuse rejoint ainsi une tradition afrofuturiste très riche. De Sun Ra aux délires cosmiques de Parliament/Funkadelic, la musique afro-américaine a souvent exploité l’imagerie spatiale. La science-fiction comme échappatoire à l’oppression de la société blanche, dans laquelle le Noir est vu comme l’Autre, l’Alien. Le discours de Monae n’est pas très différent. « Bientôt, les connaissances engrangées par les robots dépasseront celles de l’esprit humain. La rapidité avec laquelle se développent les ordinateurs va amener ça, c’est une certitude. A partir de là, comment traiterons-nous ces androïdes? Ce sera le nouvel Autre. «  Elle continue: « Mon but est de réunir, via la musique. Créer une plateforme où les races, les ethnies, les humains et les androïdes peuvent respirer dans le même environnement. Trouver un commun dénominateur… «  A partir de là, Cindi Mayweather est la médiatrice entre les uns et les autres, à la manière de Neo dans Matrix. Elle ajoute encore: « C’est l’archandroid, elle veut nous protéger tous. Parce que le médiateur entre la main et l’esprit, c’est toujours le c£ur. « 

La dernière citation n’est pas d’elle. Elle est tirée du Metropolis (1927) de Fritz Lang, dont l’imagerie percole tout l’univers de Monae. En concert, elle reprend également le Smile que Charlie Chaplin composa pour Les Temps Modernes (1936). Pourquoi tant d’intérêt pour cette période de l’Histoire? « Parce que les problèmes de l’époque restent encore très actuels. Les combats sont identiques. Que ce soient les discriminations, la tension entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas… Mais en même temps, je parle du futur parce que cela nous donne un choix. Nous pouvons changer notre histoire, notre manière de penser, de traiter ceux avec qui, a priori, on n’arrive pas à se connecter… « 

Dans le rôle du personnage mi-femme, mi-robot, Monae est en tout cas très crédible. En interview, elle se tient droite comme un « i » sur sa chaise. Coiffée d’une coupe banane imperturbable, elle parle d’un ton posé, presque désincarné, avec ce brin d’arrogance propre aux surdoués (et qui le savent). Son visage semble avoir été naturellement  » photoshopé », sa peau d’une beauté presque plastique. Aux premières sorties (très) gentiment sexy des débuts ont succédé des tenues mélangeant invariablement le noir et le blanc. Son uniforme, dit-elle.  » Je veux créer une musique qui représente les classes laborieuses.  » A la manière des Chic ( Le Freak, Good Times…) qui apparaissaient dans d’élégants costumes années 30, Monae joue d’une certaine classe. Avec ses pantalons cigarettes, son n£ud pap, et ses chemises entièrement boutonnées, elle couvre aussi la quasi intégralité de son corps, à des années-lumière des idoles pop dévêtues actuelles, Lady Gaga en tête.

A contre-courant, Monae l’est encore quand elle sort un album-concept. Un disque rare qui s’apprécie d’abord dans sa totalité, et qui a trouvé une déclinaison scénique détonante. On vous aura prévenu…

u JANELLE MONAE, THE ARCHANDROID, DISTRIBUÉ PAR WARNER.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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