Mon nom est personne

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Dans Le Volontaire, Salvatore Scibona tisse une brillante et troublante réflexion sur l’identité et sur la masculinité aux mains de guerres troubles.

À l’aéroport d’Hambourg, erre Janis, lost in translation. Aucune tentative de communiquer avec le gamin n’a fonctionné jusque-là. Sa mère, Evija, partie en Espagne sans s’encombrer, l’a confié à Elroy Heflin, ce paternel militaire qu’il connaît peu. Mais à son tour, prétendant que le petit devait l’attendre sans bouger, son père a pris la poudre d’escampette. C’est sur ce préambule de double abandon qui donne le ton que Salvatore Scibona commence à laisser cours à sa folle odyssée d’identité(s) et de filiation(s) de travers(e). Bientôt, nous découvrons que le couard soldat,  » emprunt[ant] la mauvaise voie pour finalement se retrouver sur la bonne« , est allé rejoindre l’énigmatique Tilly, son tuteur légal, au Nouveau-Mexique. C’est lui Le Volontaire, le coeur du roman. Celui qu’on nommait jadis Vollie Frade était heureux en Iowa. Mais voulant aider les siens financièrement, il s’est engagé pour le Viêtnam, ce territoire que Scibona fait suinter comme une terre de désolation qui vous tatoue à jamais. Après la bataille de Khe Sanh et sa démobilisation, voilà pourtant l’engagé qui rempile dans une unité clandestine d’où rien ne doit filtrer. Pour cause d’enjeux politiques kafkaïens, impossible donc, une fois de retour aux États-Unis, d’évoquer sa longue captivité au Cambodge puisqu’officiellement, ni lui ni ses hommes ne pouvaient être sur le territoire. Dans les rets de Lorch, qui connaît jusqu’au nombre de ses caries, Vollie n’a d’autre choix que de se plier à la mission que ce sbire de la CIA lui confie avant que la roue instable du destin ne se remette à tourner. Celui qui est désormais Dwight Tilly n’aura de cesse de chercher à s’extraire hors des mailles du filet, de se dissoudre de l’Histoire.

Mon nom est personne

Le Volontaire, roman intime d’espionnage (comme l’était le tourbillonnant La Femme qui avait perdu son âme, de Bob Shacochis) n’exclut pas quelque exercice de varappe mentale. Comme l’anguille insaisissable qu’est Vollie Frade, le lecteur glisse entre les pans plus opaques. Cette expérience de lecture tout du long abrasive, s’avère comme le « portrait du jeune homme en feu et en fuite », où l’on porte  » un moi comme un blouson » amovible. Où les vétérans n’ont pas droit au repos du guerrier mais à la cavale infinie dans les limbes, l’intranquillité au ventre. Où devenir père par ricochets successifs ou par envie pourrait constituer enfin un ancrage, mais où l’hasardeuse fortune finit toujours par vous rendre f(l)ou. Et vous, êtes-vous bien sûrsd’être vous-même?

Le Volontaire

De Salvatore Scibona, éditions Christian Bourgois, traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Chédaille, 448 pages.

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