Top model de profession, mariée à Jack White, Karen Elson a pris le temps pour sortir un 1er album country-folk qui lui corresponde. Interview exclusive.

Même teint diaphane, même rousseur flamboyante et atypique: au naturel, Karen Elson ressemble finalement assez au top model qui en-chaîne depuis plus de 10 ans les défilés (Chanel, Cavalli…) et les shootings de mode (Gaultier, Saint Laurent…) pour magazines glamours. Par contre, elle semble bien avoir rangé la froideur et la distance qui accompagnent généralement ce genre d’exercices. Affable et bavarde, elle est assise à la table de déjeuner, dans un petit hôtel cosy du 18e, à deux pas de Montmartre. Elle est venue présenter son premier album, The Ghost Who Walks, enregistré avec son rockeur de mari, Jack White.

Quelques jours plus tôt, elle était à Londres pour entamer l’exercice promo, accompagné d’une poignée de concerts. Un retour au pays apparemment traumatisant pour celle qui y est née, en janvier 1979. « C’était mon tout premier concert là-bas. Cela a été un moment très angoissant. J’ai 31 ans aujourd’hui, j’ai quitté le pays quand j’en avais 16 pour mes premiers boulots de mannequin. Cela fait plus de 10 ans que je suis installée aux Etats-Unis. Je ne suis plus la même. Même mon accent a changé! Ce qui, venant d’une petite ville au nord de Manchester, n’était vraiment pas gagné… En fait, chaque fois que j’y retourne, il se passe quelque chose de bizarre dans ma tête: j’ai l’impression d’avoir à nouveau 15 ans. «  Ce qui ne doit pas être forcément désagréable, fait-on remarquer. « Oh si! J’étais une fille un peu bizarre, déprimée, très sombre… Malheureuse, en fait. Et quand je reviens en Angleterre, je retrouve ça. Je descends de l’avion et je peux sentir ce sentiment de désespoir m’envahir à nouveau. A chaque fois, c’est pareil… Vous savez, je viens d’un endroit assez hardcore. Cela me donne un certain sens des réalités. Notamment que l’on n’a rien gratuitement. Que si vous voulez vraiment quelque chose très fort, il faut se battre pour. Personnellement, dès que j’ai eu l’opportunité de partir, je me suis battue pour ne plus jamais revenir. »

Karen Elson vit aujourd’hui avec son homme et ses deux enfants à Nashville, « l’exact opposé de Manchester, l’un des endroits les plus paisibles qui soit ». Du coup, pour son premier album, l’Anglaise pioche d’abord dans l’idiome country-folk-rock américain.

Madchester

Loin en tout cas de l’héritage musical mancunien, pourtant énorme. « Quand je suis arrivée aux Etats-Unis, je suis tombée sur un tas de gens qui fantasmaient sur la scène musicale de Manchester. C’était très étrange pour moi. J’avais un ami, un collectionneur de disques, un vrai fou furieux de musique. Quand je lui ai expliqué que j’ai habité à 5 minutes de l’endroit où vivait Ian Curtis (NDLR: le chanteur suicidé de Joy Division), il a voulu que je lui explique tout. »

Gamine, Elson débarque bien un jour à l’Haçienda, le mythique club de la ville. Mais l’expérience est loin d’être concluante. « C’était la fin de l’époque glorieuse. J’écoutais les Stones Roses, tout ça. Mon frère a aussi traîné un moment avec les Happy Mondays -je ne sais pas trop ce qu’il faisait, il me disait qu’il faisait un peu de voix et de tambourin… Mais la scène s’est très rapidement déglinguée. Quand j’ai eu l’âge de m’y intéresser, elle avait déjà fait pas mal de victimes, des mecs cramés par la drogue. Des gamins que j’avais vu partir en rave et qui étaient maintenant complètement à la ramasse, essayant de vous voler, de vous arnaquer. »

En fait, son premier choc musical, Karen Elson le connaît en tombant un jour devant un clip de PJ Harvey sur Channel 4. « Ils ont passé Down By The Water. Je me rappelle regarder ça, et être complètement interpellée: qu’est-ce que c’est ça? Est-ce que j’aime ou pas? C’était magnifique, j’en avais le souffle coupé. Voilà une femme profondément différente, qui n’essaie pas d’être juste belle et de chanter les chansons des autres. Je voulais en savoir plus. » Du coup, Elson fonce au HMV acheter l’album To Bring You My Love avec son argent de poche -au passage, elle chope aussi le So Tonight That I Might See de Mazzy Star. « Après cela, plus rien n’a jamais été pareil. Pour une gamine, c’était incroyable. Cela m’a fait réaliser qu’il ne fallait pas forcément se conformer à une sorte de modèle. Pas seulement en tant qu’artiste, mais aussi en tant que femme. »

A l’eau

Voilà qui est cocasse venant de quelqu’un qui fait partie du gotha de la mode, top model parmi les plus cotés. Elson en est évidemment consciente. C’est pour cela aussi qu’elle a pris son temps pour sortir un disque sous son nom. Les mannequins qui décident de se lancer à un moment dans la chanson sont légion. Avec des succès divers: toutes n’ont pas connu les parcours d’une Carla Bruni ou d’une Grace Jones… « J’ai eu l’opportunité de sortir mon propre disque quand j’avais 22 ans. Mais sans vouloir manquer de respect à ceux qui m’y ont encouragée, j’ai senti qu’ils voulaient d’abord la jolie fille avec la voix sympa. A la limite j’aurais pu écrire l’un ou l’autre bout de texte, mais sans être vraiment engagée dans le processus créatif. J’étais heureuse de faire finalement de la musique, mais je n’étais pas impliquée comme je voulais l’être. Et puis c’est une question de timing aussi. J’avais besoin de m’asseoir et d’apprendre à vraiment jouer de la guitare, écrire des chansons. J’avais besoin de grandir tout simplement. »

Par exemple en faisant partie de la bande qui fonde The Citizens Band, une joyeuse troupe musicale qui relance le cabaret politique à New York, après la réélection de George Bush Jr. Ou en faisant l’une ou l’autre discrète apparition discographique (la reprise avec Cat Power de Je t’aime Moi non plus). Aujourd’hui, elle fait le grand saut. Son homme n’est pas loin. Mais The Ghost Who Walks arrive à créer sa propre brèche, plus folk que l’univers habituel du White Stripe. Au fond, a-t-elle d’ailleurs pensé trouver un autre producteur? « Au départ, oui. Je pensais que cela allait être un désastre. Je ne voulais pas écrire dans son ombre. Mais au final, il m’a vraiment poussée à sortir de ma coquille. Il me connaît bien, et il sait comment je peux retenir certaines choses – tout l’inverse de lui, qui s’investit à fond dans chaque projet. Donc il m’a jeté dans le studio, comme on jette quelqu’un à l’eau. Un autre producteur aurait pris peut-être plus de précautions. » l

u Karen Elson, The Ghost Who Walks, XL Recordings. zz

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Paris

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