Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

LES CANADIENS S’AMUSENT À MATER LEUR REFLET DANS UNE BOULE À FACETTES. LE RÉSULTAT? UNE MUE AUSSI CAPTIVANTE QU’ÉTRANGE, ORCHESTRÉE (FORCÉE?) PAR JAMES MURPHY.

Arcade Fire

« Reflektor »

DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

8

De toutes les sensations indie issues des années 2000, Arcade Fire est peut-être celle qui s’en est sortie le mieux. La seule en tout cas à pouvoir prétendre au statut de supergroupe. En trois albums, la courbe est restée ascendante -jusqu’à The Suburbs (2011) remportant, à la surprise générale, le Grammy du meilleur album. Et tant pis si le groupe perdait en cours de route une grande partie de l’énergie vitale qui habitait Funeral, miraculeux premier album: on ne peut apparemment pas tout avoir, le succès ET l’intensité.

A partir de là qu’attendre d’un nouvel album des Canadiens, objet d’une promo intensive depuis plus de deux mois? La mainstreamisation définitive du phénomène? Ou un regain de créativité susceptible de ramener de l’excitation? Voire une combinaison des deux? C’est en effet bien le pari engagé par Reflektor

Certains avaient vu dans The Suburbs l’album de la consécration pour Arcade Fire, comme l’avait été Automatic for the People pour REM. Dans ce cas, Reflektor serait alors plutôt leur Achtung Baby!, disque du renouvellement de U2 en 1991. De l’ironie aussi, et du second degré. Comme les Irlandais lors de la tournée Zooropa de 93, Arcade Fire déboule ainsi en portant sur la tête… son propre masque. Sur un titre comme Normal Person, Win Butler demande, sarcastique: « Do you like rock’n’roll music? Cause I don’t know if I do…  »

De fait, Arcade Fire s’éloigne de l’indie rock un poil emo pour lorgner vers la piste de danse. Lâché il y a un mois et demi, le single Reflektor avait donné le ton, long morceau aux réminiscences disco, Régine Chassagne se prenant presque pour Donna Summer. De son côté, Flashbulb Eyes est un drôle de trip space-dub-reggae, tandis que Here Comes The Night Time s’amuse régulièrement à changer de vitesse. La mue ne s’est pas faite toute seule. L’apport de James Murphy (LCD Soundsystem) à la production est essentiel. Capital même. En coulisses, le gourou dance-punk mène ses troupes à la baguette, dévergondant les rigidités de Butler & Cie. Sur quasi tous les morceaux, sa patte est reconnaissable: un clavier eighties, un son de batterie typique, un oscillateur au son spacy…

Vendu comme un double album (mais à peine plus long qu’un simple), Reflektor s’agite sur la première moitié avant de ralentir. Mais même avec la gueule de bois, Arcade Fire se glisse, plutôt habilement, dans le costume et les références de Murphy: les synthés vintage de It’s Never Over, la drum machine primitive de Porno

Certes, il y a bien un souci. Le plus gros problème du disque? Sa crédibilité. Est-on prêt à voir se trémousser sur le dancefloor ceux qui chantaient encore récemment « My body is a cage« ? A cet égard, la patte de Murphy est tellement omniprésente que plusieurs fois elle manque d’étouffer le groupe. Soit. Au final, l’envergure de Reflektor, sa gourmandise (la moitié des titres dépasse les six minutes) et son envie font oublier les quelques ratages. Après tout, tout le monde a droit à une deuxième vie…

LAURENT HOEBRECHTS

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