UNE FEMME AMÉRICAINE – TODD HAYNES RENOUE AVEC LE CLASSICISME HOLLYWOODIEN LE TEMPS D’UNE MAGISTRALE ADAPTATION EN MINI-SÉRIE TÉLÉVISÉE DE MILDRED PIERCE, LE ROMAN DE JAMES M. CAIN.

UNE MINI-SÉRIE HBO DE TODD HAYNES. AVEC KATE WINSLET, GUY PEARCE, EVAN RACHEL WOOD. 6 H 05. DIST: WARNER.

De Mildred Pierce, roman de James M. Cain paru en 1941, il y avait eu une première adaptation au mitan des années 40, classique du film noir réalisé par Michael Curtiz, offrant là l’un de ses plus grands rôles à Joan Crawford. Revenant au texte quelque 70 ans plus tard, Todd Haynes ( Far from Heaven, I’m not There) a adopté un point de vue différent, privilégiant l’approche du mélodrame domestique pour signer le bouleversant portrait d’une femme indépendante pendant la Grande dépression, en un tableau à la résonance toute contemporaine.

« Tu viens de rejoindre la plus grande institution américaine », observe l’une de ses amies à l’attention de Mildred Pierce (Kate Winslet) alors que celle-ci vient de se séparer de Bert, son mari, pour élever seule leurs deux fillettes, Veda et Ray. Nous sommes en 1931 à Glendale, banlieue de Los Angeles, et c’est là le début d’une histoire peu banale, qui va épouser le rythme syncopé de son époque, tout en accompagnant les fluctuations d’une vie intime cahotante. Sommée de se réinventer, Mildred Pierce va se révéler exemplaire self-made woman, pour se retrouver à la tête d’un mini-empire de la restauration (et donner corps, chemin faisant, à une autre « institution américaine », la possibilité offerte à chacun de réussir, par-delà l’adversité). La conjoncture économique incertaine ne sera pas seule à faire bientôt chanceler une femme dont l’histoire est sous-tendue par le rapport complexe l’unissant à sa fille, Veda (Morgan Turner/Evan Rachel Wood), la révélation progressive du tempérament vénéneux de cette dernière ayant des effets dévastateurs -l’amour maternel voudrait parfois pouvoir rester aveugle.

Le meilleur du cinéma

C’est peu dire que le format de la mini-série convient idéalement au propos, permettant de le restituer dans toute son ampleur dramatique, d’opportunes respirations à l’appui, non sans laisser aux personnages le temps de s’installer. A cet égard, et dominant une distribution de choix où l’on retrouve encore Guy Pearce ou Melissa Leo, la Mildred Pierce composée par Kate Winslet laisse une impression indélébile, la comédienne britannique atteignant à une densité et une profondeur peu banales, subtilement sublimées par le regard de Todd Haynes. Il y a là en effet, à l’instar de la Julianne Moore/Cathy Whitaker de Far From Heaven, un exceptionnel portrait de femme tentant de s’épanouir dans un contexte social ingrat. Circonstances que le réalisateur emmène en de frémissants horizons, rendus plus envoûtants encore par une facture réminiscente de celle du cinéma hollywoodien classique -impression à laquelle n’est certes pas étrangère l’exceptionnelle photographie d’Ed Lachman, ni la partition suave de Carter Burwell.

Projet hors normes, film d’une sidérante intensité et d’une émouvante beauté, Mildred Pierce vient rappeler que le meilleur du cinéma peut désormais aussi se faire pour la télévision. Soit six heures de pur bonheur, relevées des commentaires du réalisateur, du scénariste Jon Raymond et du directeur artistique Mark Friedberg. Incontournable. l

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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